30 août 2017

Frithjof Schuon, Du sacrifice (note de lectură)

Etudes traditionnelles, avril 1938.
1
La théorie du sacrifice est inséparable de celle de la manifestation elle-même.

2
Le « milieu » de réalisation de la manifestation universelle est l’Existence. Le principe de cette manifestation est l’Etre qui est en dehors de l’Existence.
La conception de ce que les Hindous appellent les « jours » et les « nuits » de Brahma – l’alternance cyclique concernant la manifestation universelle, alternance qui permet d’ailleurs la conception de la Création.
S’il est vrai que la discontinuité entre les phases vibratoires se trouve amoindrie dans les différents ordres relatifs, par le fait que la vibration elle-même ne se produit que dans un domaine très restreint et qu’il ne saurait donc y avoir de différences aussi rigoureuses que celles qui, dans les ordres supérieurs, se produisent en raison de l’infinité du Principe divin ou de la Toute-Possibilité universelle, il n’en est pas moins vrai que cette continuité quasi  « substantielle » est compensée par une plus grande discontinuité dans la vibration comme telle.
La vie volontaire de l’homme est une manifestation qui n’est pas réglementée spontanément, comme c’est le cas pour toute manifestation « physique ». Il appartient à l’homme de conformer sa propre manifestation à la Norme universelle et divine. C’est là qu’intervient pour lui la Tradition, et plus particulièrement cet élément, central à un certain égard, le « sacrifice ».
On peut considérer la Tradition comme un « sacrifice » par rapport à la vie strictement profane qui ne fait intervenir par elle-même aucun élément supra-individuel.  Tout rite constitue un arrêt du flux de cette vie, et une sorte de mort par rapport à celle-ci.


3
Le sacrifice sanglant constitue une sorte de réminiscence du Principe transcendant qui est au-delà de la vie et qui est la Cause positive et divine de celle-ci, ou encore une sorte de référence au Non-manifesté dont découle ontologiquement toute manifestation.
La vie étant un don fait par la Cause universelle qui est considérée comme « Créateur », ceux qui bénéficient de ce don doivent, afin de le spiritualiser en se référant à sa qualité symbolique, et afin de le rendre par là-même plus prospère et plus durable, rendre au Créateur une partie de Son Don, donc de la vie.
Il n’y a rien d’arbitraire dans le fait que ce soit le sang qui est versé au Principe Créateur, puisque le sang est à juste titre considéré comme le véhicule le plus immédiat de la vie. C’est là une des raisons pour lesquelles, dans certaines traditions, sa consommation est interdite.
Dans le sacrifice, l’animal remplace l’homme. D’abord en tant que membre de la collectivité des êtres caractérisés par le même sang chaud, ensuite en tant que propriété de l’homme.

4
« Aime ton prochain comme toi-même » = Ne distingue pas ton prochain de toi-même.
Sans le sacrifice, les incroyants n’ont aucun droit d’enlever la vie, du moment que l’homme n’est pas capable de la donner.
Le sacrifice humain risquait de dévier, comme cela peut arriver pour tout symbole, du « qualitatif » au « quantitatif », du rite à la superstition.
Il en est du sacrifice comme de tout culte: il peut dégénérer en quelque chose d’analogue à l’idolâtrie, et alors il devient orgiaque et ne sert plus qu’à nourrir une entité psychique monstrueuse, créée par les émanations psychiques de ses adorateurs et assoiffée du sang qui est son support de vie.
La communion catholique n’est pas sans rapport avec une consommation rituélique de chair humaine; c’est pour s’approprier les qualités du sacrifié que l’on consomme sa chair.
C’est pour ne pas s’approprier certaines qualités d’ordre inférieur que l’on évite de manger certains animaux (l’interdiction du porc chez les Sémites).

5
La guerre féodale comporte un aspect de sacrifice en tant qu’elle a une signification positive.
Le sepukku des Shintoïstes n’est pas un suicide ordinaire, mais un sacrifice.
“Il n’est pas étonnant, vu le développement spécifiquement individualiste de la civilisation occidentale, qu’il reste peu de trace en Occident de cette idée fondamentale de sacrifice, abstraction faite, bien entendu, de l’immolation judéo-islamique et de l’Eucharistie catholique, et que d’ailleurs les dernières manifestations rituéliques de cette idée sont visées, dans certaines pays, par des interdictions qui semblent vouloir achever la rupture, réalisée déjà sous tant de rapports, entre l’homme et Dieu.”

6
En dehors du sacrifice proprement dit, il y a encore un mode de réalisation de la même idée: les pratiques ascétiques.

Le sacrifice ascétique n’a de valeur que dans la mesure où il suggère, par son symbolisme vécu et grâce à sa vertu transformatrice qui l’assimile symboliquement au feu, des vérités transcendentes, dans la mesure où il aide à effectuer des prises de contact avec des réalités spirituelles ou états supérieurs.

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