20 juillet 2009

Ibn Khaldoun, Prolégomènes, (I) - note de lectura

Traduits en français et commentés par W. Mac Guckin de Slane. Ediţia franceză: 1863.

Livre I: De la société humaine et des phénomènes qu’elle présente, tels que la vie nomade, la vie sédentaire, la domination, l’acquisition, les moyens de gagner sa subsistance, les sciences et les arts.

Introduction (rédigée par le traducteur)

Un ouvrage qui touche toutes les branches des connaissances et de la civilisation des Arabes.

Les principaux événements de sa vie agitée. Naissance à Tunis, l’an 1332. Nommée à l’âge de vingt ans secrétaire du sultan hafside Abou Ishac II. En l’an 1356, secrétaire du sultan mérinide Abou Eïnan. L’année suivante, jeté en prison par l’ordre du souverain. En 1359, secrétaire du sultan Abou Salem. En 1362 est accueilli en Grenade par le roi Ibn el-Ahmer, qui l’envoye ambassadeur auprès de Pierre le Cruel, roi de Castille. En 1365 devient, à Bougie, premier-ministre (hadjeb) du prinde hafside Abou Abd Allah. En 1368, après la chute de Bougie et la mort de son souverain, devient premier-ministre d’Abou Hammou, le souverain de Tlemcen.

Il écrit les Prolégomènes dans une retraite qui dura 4 ans, dans un château appelé maintenant Taoughzout. Au mois d’octobre 1382, il alla se fixer au Caire. Deux années plus tard, il fut nommé grand cadi malékite (juge suprême) de cette ville. En 1387, il fit le pèlerinage de la Mecque, d’où il revint au Caire, afin de se dévouer uniquement à l’étude et à l’enseignement. Nommé encore grand cadi, il fut destitué de nouveau, puis, en l’an 1400, il accompagna le sultan en Syrie et tomba entre les mains de Tamerlan. Remis en liberté, il rentra en Égypte, devint encore grand cadi malékite du Caire, et y mourut le 15 mars 1406, à l’âge de soixante et quatorze ans.

Confession, dans son autobiographie: « Depuis ma jeunesse je me suis toujours montré avide de connaissances ; et j’ai mis un grand zèle à en acquérir et à fréquenter les écoles et les cours d’instruction. »

Abou Zeïd Abd er Rahman Ibn Khaldoun

Cadi au Caire, il se fait des ennemis: « Pendant ce temps j’offrais à Dieu, comme un titre à sa faveur, tous les dégoûts dont on m’abreuvait ; je méprisais les intrigues de ces misérables, et je marchais droit mon chemin, avec la résolution ferme et décidée de maintenir le bon droit, d’éviter toutes les vanités du monde, et de me montrer inflexible aux personnes en crédit qui voulaient m’influencer. »

Les traités composés par Ibn Khaldoun ont été perdus. On sait tout de même que l’histoire n’avait pas été d’abord l’objet de ses travaux. Il a été préoccupé de théologie, littérature, arithmétique.

Sur l’œuvre: « Mais l’ouvrage auquel Ibn Khaldoun doit sa grande renommée, c’est l’Histoire universelle et les Prolégomènes qui l’accompagnent. Parlons d’abord de l’Histoire. Cette vaste compilation se compose de notices, quelquefois très étendues, sur tous les peuples et tous les empires qui ont figuré dans le monde, depuis les temps les plus reculés jusqu’aux dernières années du XIVe siècle. Rédigée sur un plan tout à fait nouveau, ainsi que l’auteur lui-même le fait remarquer avec une satisfaction évidente, elle s’écarte beaucoup de la forme ordinaire des chroniques composées auparavant.

Au lieu de suivre d’un seul trait l’ordre chronologique des événements, depuis le commencement du monde jusqu’au temps de l’auteur, elle consacre une section spéciale, et quelquefois un tableau généalogique, à chaque race, à chaque peuple et à chaque dynastie. Dans ces articles, Ibn Khaldoun réunit tous les renseignements qui concernent le peuple ou la famille dont il parle, renseignements jusqu’alors épars dans divers livres. Ce système offre, sans aucun doute, de grands avantages ; il nous fournit sur chaque peuple et chaque dynastie une notice plus ou moins complète ; mais si le lecteur veut étudier l’histoire d’un pays tel que l’Égypte, où plusieurs dynasties de différentes races ont régné successivement, il se voit obligé de passer, à diverses reprises, d’une partie de l’ouvrage à une autre, afin de trouver tous les renseignements qui concernent cette contrée. Il est vrai qu’en faisant de pareilles recherches il rencontre assez souvent deux récits d’un même événement, dont l’un sert de contrôle et quelquefois de correctif à l’autre. Pour former ce recueil de monographies, l’auteur eut sous les yeux les principaux ouvrages historiques, généalogiques et géographiques de la littérature arabe, et c’est en les dépouillant avec soin, et en condensant les indications ainsi recueillies, qu’il parvint à composer cette série de mémoires. Il n’avait pas eu d’abord l’intention d’écrire une histoire universelle. Retiré dans un château situé auprès de Tiaret, ville de la province d’Oran, il s’était borné, dans les premiers temps, à traiter des dynasties et des tribus qu’il connaissait alors le mieux, celles de la Mauritanie. »

Sur le style: « Le style d’Ibn Khaldoun, dans les Prolégomènes et dans plusieurs chapitres de l’Histoire universelle, est très irrégulier, et n’est pas toujours facile à entendre. Pour dire les choses les plus simples, l’auteur emploie volontiers des phrases surchargées de termes abstraits, entrecoupées de parenthèses et de répétitions, et rendues encore plus obscures par la difficulté qu’il éprouvait à exprimer nettement ses idées, et par l’emploi de pronoms relatifs dont on ne distingue pas toujours les antécédents, à moins de connaître les détails du sujet dont il s’occupe ou de l’événement dont il fait le récit. Le chapitre sur les rois chrétiens de l’Espagne, si habilement, débrouillé et traduit par M. Dozy, offre un exemple frappant de cette incorrection de style. Ajoutons à cela que, dans les phrases d’Ibn Khaldoun, les règles de la construction grammaticale ne sont pas toujours observées. Ces derniers défauts paraissent former le caractère distinctif de tous les ouvrages historiques et scientifiques composés par des natifs de la Mauritanie ; ils ne se retrouvent pas aussi souvent chez les écrivains de l’Orient ni chez les auteurs espagnols : les phrases d’Ibn Haiyan, de Tortouchi et d’Averroès sont toujours claires et correctes. »

Préface de l’auteur

Forme et methode de la science historique: « Envisageons l’histoire dans sa forme extérieure : elle sert à retracer les événements qui ont marqué le cours des siècles et des dynasties, et qui ont eu pour témoins les générations passées. C’est pour elle que l’on a cultivé le style orné et employé les expressions figurées ; c’est elle qui fait le charme des assemblées littéraires, où p.4 les amateurs se pressent en foule ; c’est elle qui nous apprend à connaître les révolutions subies par tous les êtres créés. Elle offre un vaste champ où l’on voit les empires fournir leur carrière ; elle nous montre comment tous les divers peuples ont rempli la terre jusqu’à ce que l’heure du départ leur fût annoncée, et que le temps de quitter l’existence fût arrivé pour eux. Regardons ensuite les caractères intérieurs de la science historique : ce sont l’examen et la vérification des faits, l’investigation attentive des causes qui les ont produits, la connaissance profonde de la manière dont les événements se sont passés et dont ils ont pris naissance. L’histoire forme donc une branche importante de la philosophie et mérite d’être comptée au nombre des sciences. » (p. 4)

Une liste des historiens crédibles, dont l’étude vaut la peine: Ibn Ishac , Taberi, El Kelbi, Mohammed Ibn Omar el Ouakedi, Seïf Ibn Omar el Acedi, Masoudi.

Introduction. De l’excellence de la science historique ; établissement des principes qui doivent lui servir de règles ; aperçu des erreurs et des méprises auxquelles les historiens sont exposés ; indication de quelques unes des causes qui produisent des erreurs

Ceux qui l’étudie, trouvent dans l’histoire des leçons de conduite.

Le point de vue officiel n’est pas toujours celui de la vérité: « D’ailleurs l’empire et le sultanat sont comme un marché public, où tout le monde apporte ses denrées en fait de sciences et d’arts ; on s’y rend dans l’espoir de ramasser quelques faveurs du pouvoir ; on y apporte de toute part des anecdotes et des histoires, car ce qui est bien reçu à la cour est bien reçu par le public. Si le gouvernement voulait agir avec franchise, éviter la partialité, renoncer à la corruption et à la fraude ; s’il marchait droit sans s’écarter du sentier de la rectitude, l’or pur et l’argent de bon aloi (en fait de science) auraient une valeur réelle sur son marché ; mais s’il se laisse conduire par ses intérêts personnels et par ses préjugés, s’il se remue au gré d’intrigants qui se font les courtiers de l’injustice et de la déloyauté, alors les marchandises falsifiées et la fausse monnaie (de l’érudition) y auront seules du cours. Pour en apprécier la valeur, le juge clairvoyant doit porter en lui-même la balance de l’examen, la mesure de l’investigation et de la recherche. (p. 45-46)

Ibn Khaldoun se montre le partisan de l’emploi de la logique dans l’exposition des faits historique. Les sources doivent être vérifiées, confrontées à l’ensemble des connaissances déjà acquises.

Question de méthode: « Pour justifier leur conduite, ils disent que deux opinions contraires sont d’une valeur égale, et qu’il en est de même à l’égard des jugements fondés sur des probabilités. Ce qu’ils font là est bien méprisable ! »

Sur la compétence de l’historien: « Il faut donc que l’historien connaisse les principes fondamentaux de l’art du gouvernement, le vrai caractère des événements, les différences offertes par les nations, les pays et les temps en ce qui regarde les mœurs, les usages, la conduite, les opinions, les sentiments religieux et toutes les circonstances qui influent sur la société. Il doit savoir ce qui, de tout cela, subsiste encore, afin de pouvoir comparer le présent avec le passé, distinguer les points dans lesquels ils s’accordent ou se contredisent, montrer les raisons de ces analogies et de ces dissemblances, expliquer l’origine des dynasties et des religions, indiquer les époques où elles ont paru, les causes qui ont présidé à leur naissance, les faits qui ont provoqué leur existence, la position et l’histoire de ceux qui ont contribué à les établir. En un mot, il doit connaître à fond les causes de chaque événement, et les sources de chaque renseignement. Alors il pourra comparer les narrations qu’on lui a transmises avec les principes et les règles qu’il tient à sa disposition ; si un fait s’accorde avec ces règles et répond à tout ce qu’elles exigent, il peut le considérer comme authentique ; sinon il doit le regarder comme apocryphe et le rejeter. » (p. 56-57)

Sur l’histoire des mentalités: « Les ouvrages historiques recèlent un autre genre d’erreurs provenant de la négligence des auteurs, qui ne tiennent aucun compte des changements que la différence des temps et des époques amène dans l’état des nations et des peuples. C’est là une véritable maladie, qui peut rester longtemps inconnue, attendu qu’elle ne se manifeste qu’au bout d’une suite de siècles, et qu’elle n’est entrevue que par un très petit nombre d’hommes. En effet, l’état du monde et des peuples, leurs usages, leurs opinions ne subsistent pas d’une manière uniforme et dans une position invariable : c’est, au contraire, une suite de vicissitudes qui persiste pendant la succession des temps, une transition continuelle d’un état dans un autre. »

Sur le but de la discipline historique: « L’histoire est proprement le récit des faits qui ont rapport à une époque ou à un peuple ; mais l’historien doit d’abord nous donner des notions générales sur chaque pays, sur chaque peuple et sur chaque siècle, s’il veut appuyer sur une base solide les matières dont il traite, et rendre intelligibles les renseignements qu’il va fournir. » (p. 66)

Le but de cet ouvrage: « car mon intention est de me borner à l’histoire du Maghreb, de ses tribus, de ses nations, de ses royaumes et de ses dynasties. Je ne veux pas m’occuper des autres pays, attendu qu’il me manque les connaissances nécessaires en ce qui regarde l’Orient et ses peuples ; car des renseignements transmis de vive voix ne me suffiraient pas. » (p. 67)


Livre premier. De la société humaine et des phénomènes qu’elle présente, tels que la vie nomade, la vie sédentaire, la domination, l’acquisition, les moyens de gagner sa subsistence, les sciences et les arts. Indications des causes qui ont amené ces résultats

Les causes des mensonges dans les récits historiques:

1. « l’attachement des hommes à certaines opinions et à certaines doctrines »
2. « la confiance que l’on met dans la parole des personnes qui les ont transmis »
3. « l’ignorance du but que les acteurs dans les grands événements avaient en vue »
4. « la facilité de l’esprit humain à croire qu’il tient la vérité »
5. « l’ignorance des rapports qui existent entre les événements et les circonstances qui les accompagnent »
6. « le penchant des hommes à gagner la faveur des personnages illustres et élevés en dignité ; ils y emploient les louanges et les éloges ; ils embellissent les faits, puis ils les propagent »
7. « l’ignorance de la nature des choses qui naissent de la civilisation »

Sur l’examen critique des faits: « Les choses étant ainsi, la règle qu’il faut employer pour discerner dans les récits la vérité de l’erreur, règle fondée sur l’appréciation du possible et de l’impossible, consiste à examiner la société humaine, c’est à dire la civilisation ; à distinguer, d’un côté, ce qui est inhérent à son essence et à sa nature, et, d’un autre côté, ce qui est accidentel et dont on ne doit pas tenir compte, puis à reconnaître ce qu’elle n’admet pas. En agissant ainsi, nous avons une règle sûre pour distinguer, dans les récits, la vérité de l’erreur, le vrai du faux, et cela par une méthode démonstrative qui ne laisse aucune prise au doute. Alors, si nous entendons raconter quelque événement qui serait arrivé dans la société humaine, nous sommes en état de reconnaître si nous devons l’accepter comme vrai ou le rejeter comme faux. Nous avons ainsi un instrument qui permet d’apprécier les faits avec exactitude, et qui pourra servir aux historiens qui, dans leurs écrits, tâchent de marcher dans la voie de la vérité. » (p. 77)

Les connaissances nous viennent souvent du passé: « En effet, le nombre des sciences est très grand, ainsi que celui des savants appartenant aux diverses races de l’espèce humaine ; mais les connaissances scientifiques qui ne nous sont pas parvenues dépassent en quantité celles que nous avons reçues. » (p. 78)

Les attributs qui distinguent l’homme de tous les êtres vivants:
a) les sciences et les arts;
b) le besoin d’une autorité qui puisse réprimer ses écarts;
c) l’industrie et le travail, qui fournissent les divers moyens de vivre;
d) la sociabilité;
e) l’état social: la vie nomade;
f) l’état social: la vie à demeure fixe.


Première section. Sur la civilisation en général. Plusieurs discours préliminaires

L’homme, par sa nature, ne saurait se passer de société. Sans ses pairs, l’homme est incapable de procurer sa nourriture ou de se protégér contre les bêtes sauvages féroces: « Tant qu’existera chez les hommes la disposition de s’entr’aider, la nourriture et les armes ne leur manqueront pas : c’est le moyen par lequel Dieu accomplit sa volonté en ce qui regarde la conservation et la durée de la race humaine. Les hommes sont donc obligés de vivre en société ; sans elle, ils ne pourraient pas assurer leur existence ni accomplir la volonté de Dieu, qui les a placés dans le monde pour le peupler et pour être ses lieutenants. Voilà ce qui constitue la civilisation, objet de la science qui nous occupe. » (p. 88)

Second discours préliminaire. Traitant de la partie habitée de la terre, des principales mers, des grands fleuves et des climats

Sur la sphéricité de la terre: « Dans les livres des philosophes qui ont pris l’univers pour le sujet de leurs études, on lit que la terre a une forme sphérique, qu’elle est plongée dans l’Océan, sur lequel elle semble flotter comme un grain de raisin sur l’eau, et que la mer s’est retirée de quelques côtés de la terre, parce que Dieu voulait former des animaux qui devaient vivre sur le sol laissé à découvert, et y mettre comme population la race humaine, pour lui servir de lieutenant à l’égard des autres animaux. D’après cela, quelques personnes ont pensé, mais à tort, que l’eau était placée sous la terre. Le véritable dessous de la terre c’est le point central de sa sphère, vers lequel tout se dirige par suite de sa pesanteur. Les autres côtés de la terre, avec la mer qui les entoure, forment le dessus. Donc si l’on dit, en parlant d’une portion de la (terre), qu’elle est placée en dessous, cela veut dire que cette portion l’est ainsi par rapport à une autre (partie du monde). » (p. 90-91)

Mesures: « Le zodiaque se partage en trois cent soixante degrés ; un degré de la surface terrestre a une longueur de vingt cinq parasanges ; la *75 parasange se compose de douze mille coudées, formant trois milles, car le mille a quatre mille coudées de longueur ; la coudée se partage en vingt quatre doigts ; le doigt a pour mesure six grains d’orge alignés les uns à côté des autres, dos contre ventre. La ligne équinoxiale est dans le même plan que l’équateur ; entre elle et chacun des deux pôles il y a quatre vingt dix degrés. La partie habitée du monde s’étend depuis l’équateur jusqu’au soixante quatrième degré de latitude septentrionale. Au delà tout est désert et sans habitants, à cause de l’extrême froid et de la glace. La partie de la terre située au sud de l’équateur est aussi entièrement déserte; mais c’est par l’effet de la chaleur. Plus loin nous expliquerons toutes ces matières. » (p. 92)


Supplément du second discours préliminaire. Pourquoi le quart septentrional de la terre a-t-il une population plus nombreuse que le quart méridional?

L’état des choses: « On sait, par le témoignage de ses yeux et par une suite non interrompue de renseignements, que le premier et le second climat du monde habitable sont moins peuplés que les suivants ; que leurs parties habitées sont séparées les unes des autres par des solitudes, des déserts et des sables, et que du côté de l’orient se trouve la mer Indienne (qui en rétrécit beaucoup l’étendue). Les nations et les peuples qui occupent ces deux climats ne sont pas en nombre considérable ; il en est de même de leurs cités et de leurs villes. Le troisième climat, le quatrième et les suivants présentent un caractère tout à fait différent ; les déserts n’y sont pas nombreux ; les sables s’y montrent rarement, ou ne s’y présentent pas du tout ; les nations et les peuples qui les habitent rappellent, par leur multitude, l’image d’un océan prêt à déborder ; leurs cités et leurs villes sont en nombre infini. La population est agglomérée entre le troisième climat et le sixième. Quant au midi, il est complètement désert. Suivant plusieurs philosophes, ce fait doit être attribué à l’excès de la chaleur et à ce que le soleil, dans cette région, s’écarte très peu du zénith. » (p. 99-100)

Vastes informations concernant l’astronomie.

Description détaillée du planisphère terrestre

La théorie des sept climats. Le quart habitable de la terre peut être partagé en sept climats, et chaque climat en dix sections.

Description du monde: « Les philosophes de l’antiquité ont partagé le monde habitable, au nord de l’équateur, en sept climats, qu’ils indiquent par des lignes imaginaires, tirées d’occident en orient, et ils assignent à chaque climat une largeur différente, ainsi que nous l’exposerons en détail. Le premier climat est immédiatement au nord de l’équateur, et il en suit la direction. La région au sud de l’équateur ne renferme d’autres populations que celles dont Ptolémée a fourni l’indication ; au delà sont des déserts et des sables qui se prolongent jusqu’au cercle d’eau nommé la mer Environnante. Au nord du premier climat vient le second, qui suit la même direction, puis le troisième, puis le quatrième, le cinquième, le sixième et le septième. Ce dernier forme, du côté du nord, la limite du monde habitable ; au delà, et jusqu’à la mer Environnante, il n’y a que des solitudes et des déserts ; mais, au midi de l’équateur, l’étendue de la région déserte est beaucoup plus considérable qu’au nord. » (p. 107-108)

Les modernes ont l’impression, faussement, que les hommes religieux avaient l’astrologie, dont les « scientifiques » ont fait l’astronomie. En réalité, l’astronomie est la création des traditionnalistes, elle est entièrement et précisément dans l’astrologie, la seule chose que les modernes ont fait a été d’en éliminer ce qui était pour eux d’incompréhensible, souvent les détails les plus importants, et d’ajouter leur fantaisies sans but et portée.

Suivent les description géographiques (parfois des énumérations tout simplement) des climats.

Sur la localisation géographique de Gog et Magog (dans le cinquième climat): « La neuvième section de ce climat renferme le territoire des Adkech, peuple de race turque. Cette région est située à l’ouest du pays des Ghozz et à l’est de celui des Keïmak. Du côté de l’orient, vers l’extrémité de la section, la montagne de Coucaïa sépare cette contrée du pays de Gog et de Magog. Cette chaîne s’étend là comme une barrière, du midi au nord, après avoir fait un coude à l’endroit où elle sort de la dixième section pour entrer dans celle ci. Elle était déjà sortie de la dixième section du quatrième climat pour entrer dans la dixième section du cinquième. Là elle sert de limite à la mer Environnante, jusqu’à l’extrémité septentrionale de la section ; ensuite elle se dirige vers l’ouest pour arriver auprès de la limite (méridionale) de la dixième section du quatrième climat, et, depuis son origine jusque là, elle enveloppe le pays des Keïmak. Entrée dans la dixième section du cinquième climat, elle la traverse jusqu’à sa limite occidentale, laissant au midi un segment qui s’allonge vers l’ouest et renferme l’extrémité du pays des Keïmak. Pénétrant alors dans la neuvième section, qui l’admet par l’extrémité supérieure (méridionale) de son côté oriental, elle se tourne presque aussitôt vers le nord et s’avance, dans la même direction, jusqu’à la neuvième section du sixième climat. C’est là que se trouve la barrière dont nous parlerons plus bas. L’angle nord est de cette neuvième section renferme le territoire qu’enveloppe la montagne. de Coucaïa ; ce territoire se prolonge vers le sud et fait partie du pays de Yadjoudj et Madjoudj. Dans la dixième section de ce climat, on trouve le pays de Yadjoudj (Gog), qui la remplit en entier, à l’exception d’une petite partie de l’extrémité orientale, qui, depuis le sud jusqu’au nord, est occupée par la mer Environnante. Exceptons encore la portion que le mont Coucaïa a isolée en y passant, et qui est située dans la partie sud-ouest de la section. Tout le reste compose le pays de Gog et Magog. (p. 158-159)

En lisant cette partie de l’ouvrage, on comprend que les Arabes avaient une image très éxacte de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie.


Troisième discours préliminaire. Qui traite des climats soumis à une température moyenne; de ceux qui s’écartent de ces limites où cette température domine, et de l’influence exercée par l’atmosphère sur le teint des hommes et sur leur état en général

Le quatrième climat est le plus tempéré. Le troisième et le cinquième, jouissent à peu près d’une température moyenne.

Sur l’influence du climat sur la civilisation: « Voilà pourquoi dans les sciences, les arts, les bâtiments, les vêtements, les vivres, les fruits, les animaux et tout ce qui se produit dans les trois climats du milieu, il n’y a rien d’exagéré. On retrouve ce juste milieu dans les corps des hommes qui habitent ces régions, dans leur teint, dans leurs dispositions naturelles et dans tout ce qui les concerne. Ils observent la même modération dans leurs habitations, leurs vêtements, leurs aliments et leurs métiers. Ils construisent de hautes maisons en pierre et les ornent avec art ; ils rivalisent entre eux dans la fabrication d’instruments et d’ustensiles, et, par cette lutte, ils arrivent à la perfection. Chez eux on trouve les divers métaux, tels que l’or, l’argent, le fer, le cuivre, le plomb et l’étain. Dans leurs relations commerciales, ils font usage des deux métaux précieux. Dans toute leur conduite, ils évitent les extrêmes. Tels sont les habitants du Maghreb, de la Syrie, des deux Iracs, du Sind, de la Chine. Il en est, de même des habitants de l’Espagne et des peuples voisins, tels que les Francs, les Galiciens et les gens qui vivent à côté ou au milieu d’eux, dans les régions tempérées. De tous ces pays, l’Irac et la Syrie jouissent, par leur position centrale, du climat le plus heureux. » (p. 168-169)

Les autres, c’est-à-dire les habitants des autres climats, s’écartent en tout du juste milieu.

La race des Nègre descend de Ham, fils de Noé. La négritude est liée à la chaleur excessive du premier et du deuxième climat. De la même manière, le teint blafard des habitants du sixième et septième climat est dû au froid excessif, qui produit aussi des yeux bleus, des taches de rousseur et des cheveux roux.

Les caractères distinctifs d’un peuple changent dans la suite des générations et ne sauraient demeurer invariables.


Quatrième discours préliminaire. Qui traite de l’influence exercée par l’air sur le caractère des hommes

Un théorie intéressante: « Nous avons tous remarqué que le caractère des Nègres se compose, en général, de légèreté, de pétulance et d’une vive gaieté : aussi les voit on se livrer à la danse chaque fois qu’ils en trouvent la moindre occasion ; de sorte que, partout, ils ont une réputation de folie. La véritable cause de ce phénomène est celle ci : selon un principe qui est bien établi dans les traités de philosophie, la joie et la gaieté résultent naturellement de la dilatation et de l’expansion des esprits animaux, tandis que la tristesse dérive de la cause contraire, c’est à dire de la contraction et de la condensation de ces esprits. On a constaté que la chaleur dilate l’air et la vapeur, les raréfie et en augmente le volume ; c’est pourquoi l’homme ivre éprouve une sensation inexprimable de joie et de plaisir. La cause en est que la vapeur de l’esprit qui réside dans le cœur se pénètre de cette chaleur innée que la force du vin excite naturellement dans l’esprit : alors cet esprit se dilate et produit une sensation qui a le caractère de la joie. Il en est de même de ceux qui prennent le plaisir d’un bain : lorsqu’ils en respirent la vapeur, et que la chaleur de cette atmosphère pénètre jusqu’à leurs esprits et les échauffe, il en résulte pour eux un sentiment de plaisir, qui souvent se manifeste par des chants joyeux. » (p. 174-175)

L’explication conformément à laquelle le caractère gai des Nègres tient à une faiblesse du cerveau « est sans valeur et ne prouve rien ».


Cinquième discours préliminaire. Qui traite des influences diverses que l’abondance et la disette exercent sur la société humaine, et des impressions qu’elles laissent sur le physique et le moral de l’homme

Sur l’abondance: « Voici, ce me semble, la cause de ce phénomène : l’excès de nourriture et les principes humides renfermés dans les aliments excitent, dans les corps, des sécrétions superflues et pernicieuses qui produisent un embonpoint excessif et une abondance d’humeurs peccantes et corrompues. Cela amène une altération du teint et enlève aux formes du corps toute leur beauté en les surchargeant de chair. Ces principes humides obscurcissent l’esprit et l’intelligence par l’effet des vapeurs pernicieuses qu’elles envoient au cerveau ; de là résultent l’engourdissement de l’esprit, la nonchalance et un grave écart de l’état normal. » (p. 178)

Sur l’influence de la abondance sur la religion: « Les cités et les grandes villes renferment peu d’hommes religieux, attendu que, dans ces lieux, règnent généralement une insensibilité de cœur et un esprit d’indifférence qui proviennent de l’usage trop abondant de la viande, des assaisonnements et de la farine ; aussi les hommes dévots et austères se rencontrent surtout parmi les habitants de la campagne, accoutumés à la vie frugale. » (p. 180)

Sur la faim et sur le jeûne: « Les médecins se trompent en prétendant que c’est la faim qui fait mourir : cela n’arrive jamais, à moins qu’on ne prive l’homme brusquement de toute espèce d’aliment ; alors les intestins se ferment tout à fait, et l’on éprouve une maladie qui peut conduire à la mort. Mais lorsque la chose se fait graduellement, et par esprit religieux, en diminuant peu à peu la quantité de nourriture, ainsi que font les soufis, la mort n’est pas à craindre. La même progression est encore absolument nécessaire lorsque l’on veut renoncer à cette pratique de dévotion ; car, si l’on reprenait subitement sa première manière de se nourrir, on risquerait sa vie. Il faut revenir au point de départ, en suivant une gradation régulière, ainsi que cela s’était fait en le quittant. Nous avons vu des hommes qui supportaient une abstinence complète pendant quarante jours consécutifs, et même davantage. » (p. 183)

« Nous avons vu que, si des hommes adoptent pour nourriture la chair de gros animaux, leurs descendants prennent les qualités de ces animaux. » (p. 184)


Sixième discours préliminaire. Concernant les hommes qui, par une disposition innée ou par l’exercice de pratiques religieuses, ont la faculté d’apercevoir les choses du monde invisible. Ce chapitre commence par des observations sur la nature de la révélation et des songes

Sur les prophètes: « Un signe caractéristique distingue les individus de cette classe : au moment de recevoir la révélation divine, ils se trouvent complètement étrangers à tout ce qui les entoure, et ils poussent des gémissements sourds. On dirait, à les voir, qu’ils sont tombés dans un état de syncope ou d’évanouissement ; et toutefois il n’en est rien ; mais, en réalité, ils sont absorbés dans le royaume spirituel qu’ils viennent de rencontrer. Cela leur arrive par l’effet d’une puissance perceptive qui leur est propre et qui diffère totalement de celle des autres hommes. » (p. 186)

« [...] la vertu et le zèle pour la religion sont des signes auxquels on reconnaît les hommes ayant le don de la prophétie. » (p. 188)

Définition du miracle: « un miracle probant consiste en un événement surnaturel joint à une annonce préalable » (p. 190)

Distinction entre miracle et acte de magie: « Pour distinguer un miracle d’un acte de magie, disent ils, on se rappellera que Dieu a formé les prophètes pour faire de bonnes actions et pour éviter les mauvaises ; donc les faits surnaturels produits par un prophète ne peuvent pas amener le mal. Avec le magicien, c’est le contraire ; tout ce qu’il fait est nuisible ou tend à nuire. » (p. 194)

Sur le Coran: « Sachez bien que le miracle le plus grand, le plus éclatant, le plus péremptoire, c’est le noble Coran, que notre prophète a reçu du ciel. En effet, la plupart des manifestations surnaturelles n’arrivent pas simultanément avec les révélations dont les prophètes reçoivent communication ; pour qu’elles témoignent de la vérité d’une révélation, il est évident qu’elles ne doivent se présenter qu’après ; or le Coran est, non seulement une révélation, ainsi que le Prophète l’a allégué, mais aussi un miracle tout à fait extraordinaire. Ce livre porte en lui-même la preuve de son inspiration et n’a aucun besoin d’une preuve extrinsèque telle que les miracles venant à l’appui d’une révélation divine. Il est lui-même la preuve la plus claire, étant à la fois la preuve et la chose prouvée. » (p. 194)

Sur le monde: « Nous commencerons par le monde sensible et matériel, et nous parlerons d’abord du monde visible, celui des éléments. Les éléments s’élèvent graduellement de l’état de terre à celui d’eau, puis, à celui d’air, puis à celui de feu, se rattachant ainsi les uns aux autres. Chacun d’eux a une disposition à se transformer en l’élément qui lui est immédiatement supérieur ou inférieur, et quelquefois ce changement a effectivement lieu. L’élément supérieur est plus délié que celui qui se trouve immédiatement au dessous de lui ; le plus léger a pour limite le monde des sphères. L’union des sphères entre elles forme une gradation dont la beauté nous échappe ; mais les mouvements que l’on y remarque ont conduit les hommes à p.197 découvrir l’étendue et la position de chaque sphère, et à reconnaître qu’au delà il existe des êtres (littéral. « des essences ») qui exercent sur les sphères ces influences dont on s’aperçoit. Regardons ensuite le monde sublunaire : nous verrons qu’il renferme, dans une gradation admirable, les minéraux d’abord, ensuite les plantes, puis les animaux. La catégorie des minéraux touche, par une de ses extrémités, au commencement de la catégorie des plantes, où se trouvent les mauvaises herbes et les végétaux qui ne portent pas semence. L’extrémité de la catégorie des plantes qui renferme le dattier et la vigne est en contact avec la catégorie des animaux où se tiennent les limaçons et les coquillages, êtres qui ne possèdent qu’un seul sens, celui du toucher. En parlant des diverses catégories d’êtres, le mot contact s’emploie pour indiquer que la limite extrême de chaque classe est très disposée à se confondre avec la limite extrême de la classe voisine. Le monde animal est très étendu et se compose d’un grand nombre d’espèces. Dans la gradation des créatures, il a pour dernier terme l’homme, être doué de réflexion et de prévoyance. Occupant cette position, l’homme se trouve placé au dessus de la catégorie des singes, animaux qui réunissent l’adresse à l’intelligence, mais qui, dans le fait, ne s’élèvent ni à la prévoyance ni à la réflexion. Ces facultés ne se rencontrent qu’au commencement de la catégorie suivante, qui est celle de l’homme. Ce que nous sommes capables d’apercevoir s’arrête à cette limite. » (p. 197-198)

Sur l’ange: « Cet être supérieur a pour qualités essentielles la perception pure, l’intelligence sans mélange. » (p. 199)

L’homme, à mi-chemin entre la nature des anges et la nature animalique, se sent attiré des deux.

Sur l’âme: « L’âme est en contact avec les catégories qui avoisinent la sienne, ainsi que cela arrive aux êtres disposés par classes. Pour elle, cet état de contact a deux côtés, l’un supérieur, l’autre inférieur. Par celui-ci elle touche au corps, par l’entremise duquel elle acquiert les perceptions recueillies par les sens, et qui la dispose à détenir une intelligence en acte. Par le côté supérieur elle touche à la catégorie des anges et obtient ainsi les connaissances fournies par la science (divine) et celles du monde invisible. En effet, la connaissance des événements existe dans les intelligences angéliques en dehors du temps. » (p. 198)

Trois types humains: les gens du commun, les awlyya al-Allah et les prophètes.

Sur les prophètes: « En se dépouillant des langes de l’humanité, ils vont trouver la Compagnie sublime et en recevoir des communications. Chargés de ce dépôt, ils retournent vers le domaine de la nature humaine, et le rapportent, comme une révélation venue d’en haut, au milieu des influences mondaines, afin de le communiquer aux hommes. La révélation arrive, tantôt comme le bourdonnement d’un discours confus ; le prophète en saisit les idées et, à peine a t il cessé d’entendre le bourdonnement, qu’il a su par cœur et compris le message ; tantôt l’ange qui lui communique la révélation paraît sous la forme d’un homme afin de lui parler ; et ce qu’il dit, le prophète le retient par cœur. La communication faite par l’ange, le retour du prophète dans le domaine de l’humanité et son acte de comprendre ce qui lui a été révélé, tout cela se passe dans un seul instant de temps, instant plus court qu’un clin d’œil. En effet ces événements arrivent en dehors du temps et simultanément ; aussi les révélations paraissent se faire très vite, et voilà pourquoi on les a désignées par le mot de ouahi, qui, en langue arabe, signifie se hâter. » (p. 202-203)

- la première manière de communiquer un message divin, celle qui consiste en un bourdonnement, n’est employée qu’envers les personnes qui tiennent le rang de prophète sans avoir à remplir les fonctions d’apôtre;

- la seconde manière, celle où un ange se présente sous la forme d’un homme qui parle, convient au grade de ceux qui sont en même temps prophètes et apôtres ; elle est donc plus parfaite que la première;

- De quelque façon qu’un prophète reçoive une révélation, il éprouve un sentiment d’oppression et de souffrance, fait que Dieu lui-même a indiqué par ces mots du Coran (sourate LXXIII, verset 5) : « Nous allons t’adresser une parole accablante. »;

- la révélation se fait de la manière suivante : l’âme du prophète se détache de la nature humaine pour s’élever jusqu’au domaine angélique, où elle entend la parole de l’âme (universelle) ; or un sentiment de douleur doit avoir lieu toutes les fois qu’une essence quitte son état essentiel et s’en dépouille, afin de pouvoir sortir de sa sphère et s’élever jusqu’à une autre;

- la divination est aussi une faculté humaine;

- l’âme humaine est portée, par une disposition naturelle, à se dégager de l’humanité, afin de pouvoir se transporter dans un état supérieur, celui de la spiritualité;

- pour se dégager de la nature humaine, l’âme [inférieure] prend pour guide, soit les sens, soit l’imagination;

- le devin ne peut pas atteindre d’une manière complète à la perception des choses intellectuelles, car la révélation qu’il reçoit vient des démons;

Prophétisme vs. divination: « En effet, le prophétisme consiste dans le contact de l’esprit du prophète avec la Compagnie sublime, sans avoir eu un guide pour le conduire et sans avoir employé aucun moyen extrinsèque. Or, puisque celui qui exerce la divination est obligé, par son incapacité naturelle, à employer des moyens extrinsèques fournis par l’imagination, et que ces moyens influent sur sa faculté perceptive et se mêlent même aux perceptions qu’il veut atteindre, il reçoit de ce côté là des impressions tout à fait fausses. On ne saurait donc prendre cela pour du prophétisme. » (p. 208-209)

- l’emploi de phrases cadencées - « le plus actif de tous les moyens que la vue et l’ouïe puissent fournir, moyen dont la simplicité indique la grande facilité avec laquelle l’esprit peut se mettre en contact avec le monde spirituel, y recueillir des perceptions et sortir, en quelque degré, de son impuissance »

Sur la vision spirituelle: « C’est l’acte par lequel l’âme raisonnable aperçoit, dans son essence spirituelle, et pour un seul instant de temps, les formes des événements » (p. 211)

Sur la vision spirituelle des prophètes: « Passons au genre de songes qui est particulier aux prophètes. Ces personnages ont une disposition qui leur permet de se dépouiller de la nature humaine afin d’atteindre à la pure nature angélique, qui est la plus exaltée des natures spirituelles. (Cette disposition) se manifeste très souvent chez eux pendant qu’ils sont encore dans l’état (d’extase qui provient) de la révélation, et en rentrant dans le domaine des sensations corporelles. (Le prophète) recueille alors des perceptions qui ressemblent, d’une manière frappante, à celles que l’on éprouve pendant le sommeil. Mais l’état de sommeil est bien inférieur à celui dont nous parlons. » (p. 212-213)

« dans l’âme, la perception se fait de deux manières : par les moyens externes, c’est à-dire les cinq sens, et par les moyens internes, qui sont les facultés du cerveau. Ces deux genres de perceptions préoccupent l’âme et l’empêchent d’apercevoir les essences spirituelles qui se trouvent dans la sphère supérieure ; elle a cependant reçu de la nature la disposition nécessaire pour y parvenir » (p. 214-215)

Classification des rêves: « Nous lisons dans le Sahîh que le Prophète a dit : « Il y a trois espèces de visions : l’une vient de Dieu, l’autre vient de l’ange, et la troisième de Satan. » Cette classification s’accorde avec les observations que nous venons de présenter. La vision claire est de Dieu ; celle dont l’imagination imite la forme et qui a besoin d’interprétation vient de l’ange ; les songes confus sont l’œuvre de Satan, puisqu’ils sont tout à fait faux et que Satan est la source de la fausseté. » (p. 217)

L’âme peut atteindre au monde invisible pendant que l’homme dort. Puisque cela arrive dans l’état de sommeil, rien n’empêche que la même chose n’ait lieu dans d’autres êtats.

Sur la devination qui utilise les miroirs ou l’eau: « Pour écarter le voile des sens, le vrai devin n’emploie pas de grands efforts ; quant aux autres, ils tâchent d’arriver au but en essayant de concentrer en un seul sens toutes leurs perceptions. Comme la vue est le sens le plus noble, ils lui donnent la préférence ; fixant leurs regards sur un objet à superficie unie, ils le considèrent avec attention jusqu’à ce qu’ils y aperçoivent la chose qu’ils veulent annoncer. » (p. 222)

Sur l’ascèse des magiciens: « Il y a des hommes qui se livrent aux exercices spirituels dans l’espoir d’atteindre à la perception du monde invisible, et qui tâchent de se procurer une mort factice en s’efforçant d’anéantir toutes les facultés du corps, et de faire ensuite disparaître de l’âme les traces des souillures que ces facultés y avaient laissées. Mais cela ne peut s’effectuer que par la concentration de la pensée et par des jeûnes prolongés. On sait, d’une manière positive, qu’au moment de la mort les sensations du corps disparaissent ainsi que le voile qu’elles tendaient devant l’âme. Celle ci prend alors connaissance de sa propre essence et du monde dont elle fait réellement partie. Ces hommes croient que, par des mérites acquis, ils peuvent arriver, pendant qu’ils sont en vie, à un résultat semblable à celui qui a lieu après la mort, c’est à dire à mettre leur âme en état de connaître les choses du monde invisible. » (p. 226)

Sur les soufis: « Les exercices des soufis sont purement religieux et se font sans aucune des mauvaises intentions que nous venons d’indiquer. Ils ont pour but de porter l’âme au recueillement et d’en tourner toutes les pensées vers Dieu, afin qu’elle puisse goûter les saveurs de la connaissance (divine) et de l’identification avec la divinité. Outre le recueillement et le jeûne, ils emploient, dans leurs exercices, la méditation, afin de donner à leur esprit la direction convenable. En effet, l’âme, développée par la méditation, se rapproche de la connaissance de Dieu ; l’âme étrangère à la méditation est d’une nature satanique. Ce n’est pas à la suite d’un dessein préconçu, mais par un cas fortuit que les soufis parviennent à la connaissance du monde invisible et obtiennent la faculté d’y laisser vaguer leur âme. Ceux qui recherchent ces faveurs avec préméditation donnent à leur âme une direction qui n’est pas celle de Dieu. Chercher avec intention la faculté de vaguer dans le monde invisible et de le contempler est une faute énorme, un véritable acte de polythéisme. A ce sujet un mystique a dit : « Celui qui recherche la connaissance à cause de la connaissance se déclare pour celle ci. » Les vrais soufis désirent uniquement se diriger vers l’Être adorable, et tout ce qu’ils peuvent éprouver, pendant qu’ils se trouvent dans cet état, arrive fortuitement et sans aucune préméditation de leur part. Ils tâchent, en général, d’éviter ces (marques de la faveur divine) et ils en détournent leur attention ; car ils recherchent Dieu pour lui-même, et sans aucun autre motif. » (p. 227-228)

Les astrologues prétendent qu’il existe ici-bas des moyens à l’aide desquels l’âme peut obtenir des perceptions du monde spirituel, bien qu’elle ne soit pas détachée de l’influence des sens. Ibn Khaldoun considère que ces gens ne savent riens sur le monde invisible.

Encore sur la différence entre les devins et les prophètes: « Quant aux divers degrés de perceptivité auxquels les géomanciens peuvent s’élever, par des tentatives fondées sur des hypothèses et des conjectures, à Dieu ne plaise qu’un prophète y ait passé ! Un prophète n’essaye jamais de pénétrer dans le monde invisible ; jamais il n’en parle avec l’intention de satisfaire (la curiosité de) qui que ce soit. » (p. 237)

Ibn Khaldoun rejette aussi la pratique de la géomancie: « La pratique de la géomancie s’est répandue dans tout le monde civilisé ; elle forme le sujet de plusieurs livres, et a procuré une grande réputation à divers personnages des temps anciens et modernes. Il est cependant facile de voir combien cette manière de juger est arbitraire et fantastique. Le lecteur doit toujours avoir en vue cette vérité, qu’aucun moyen artificiel ne saurait procurer la connaissance des mystères appartenant au monde invisible. Personne ne peut les découvrir excepté quelques hommes privilégiés, qui, par une disposition innée, ont la faculté de se transporter hors du monde sensible et d’entrer dans le monde spirituel. » (p. 239)

Il y a des passages qui décrivent les principes des arts devinatoires.


Seconde section. De la civilisation chez les nomades et les peuples à demi sauvages et chez ceux qui se sont organisés en tribus. Phénomènes qui s’y présentent. Principes généraux – Eclaircissements

La vie nomade et la vie sédentaire sont des états également conformes à la nature.

Sur la vie en société: « les hommes ne se sont réunis en société que pour s’aider à obtenir les moyens de vivre. Ils commencent par chercher le simple nécessaire ; ensuite ils tâchent de satisfaire à des besoins factices, puis ils aspirent à vivre dans l’abondance » (p. 254).

L’existence de la race arabe dans le monde est un fait parfaitement naturel.

Sur la vie à la campagne: « Dans le chapitre précédent nous avons mentionné que les gens de la campagne pourvoient à leur subsistance d’une manière conforme à la nature. S’adonnant à l’agriculture ou bien à l’éducation des troupeaux, ils se contentent du strict nécessaire en fait de nourriture, d’habillements, de logements et de toutes les autres choses qui se rattachent aux habitudes de la vie. Ils ne visent pas plus loin ; ils ne recherchent pas les moyens de satisfaire à des besoins factices ou de parvenir à l’aisance. Pour logements ils ont des tentes en étoffe de poil de chèvre ou de chameau, et des huttes faites avec des branches d’arbres, ou des cabanes construites avec des pierres et de l’argile. Ils ne donnent pas à leurs habitations une grande élévation, puisqu’elles ne doivent leur servir que d’abri (contre le soleil et le mauvais temps) ; quelquefois même ils se réfugient dans des grottes et des cavernes. Les mets dont ils se nourrissent n’exigent pas de grands apprêts ; crus ou légèrement cuits, ils suffisent à leurs besoins. » (p. 255-256)

La vie de la campagne a dû précéder celle des villes. Elle a été le berceau de la civilisation. Les villes lui doivent leur origine et leur population.

Les gens de la campagne par rapport aux gens de la ville: « Nous avons dit que les habitants de la campagne se bornent au strict nécessaire en tout ce qui les concerne, et qu’ils n’ont pas les moyens pour passer au delà, tandis que les gens des villes s’occupent à satisfaire aux besoins créés par le luxe et à perfectionner tout ce qui se rattache à leurs habitudes et à leur manière d’être. » (p. 257)

Les gens de la campagne sont moins corrompus que ceux des villes.

Sur les gens de la ville: « Or les habitants des villes s’occupent ordinairement de leurs plaisirs et s’abandonnent aux habitudes du luxe ; ils recherchent les biens de ce monde transitoire et se livrent entièrement à leurs passions. Chez eux, l’âme se corrompt par les mauvaises qualités qu’elle acquiert en grand nombre, et, plus elle se pervertit, plus elle s’écarte du sentier de la vertu. Il leur arrive même d’oublier dans leur conduite toutes les bienséances : nous avons rencontré bien des personnes qui se servaient d’expressions grossières et malhonnêtes dans leurs assemblées et devant leurs supérieurs ; ils ne s’en abstenaient même pas en présence de leurs femmes. Habitués à prononcer des mots obscènes et à se conduire avec impudeur, le sentiment de la modestie n’a plus aucun pouvoir sur eux. » (p. 259)

Sur les habitants de la campagne: « Les gens de la campagne recherchent aussi les biens de ce monde, mais ils n’en désirent que ce qui leur est absolument nécessaire ; ils ne visent pas aux jouissances que procurent les richesses ; ils ne recherchent pas les moyens d’assouvir leur concupiscence ou d’augmenter leurs plaisirs. Les habitudes qui règlent leur conduite sont aussi simples que leur vie. On pourra trouver dans leurs actes et dans leur caractère bien des choses à reprendre ; mais ces défauts paraîtraient peu graves, si l’on jetait les yeux ensuite sur les mœurs des habitants des villes. Comparés avec eux, ils se rapprochent bien plus du naturel primitif de l’homme, et leurs âmes sont moins exposées à recevoir les impressions que les mauvaises habitudes laissent après elles. Il est donc clair que, pour les corriger et les ramener dans la bonne voie, on aura moins de peine qu’avec les habitants des villes. » (p. 259-260)

Les gens de la campagne sont plus braves que ceux de la ville.

Sur les gens de la ville: « Les habitants des villes, s’étant livrés au repas et à la tranquillité, se plongent dans les jouissances que leur offrent le bien être et l’aisance, et ils laissent à leur gouverneur ou à leur commandant le soin de les protéger en leurs personnes et leurs biens. Rassurés contre tout danger par la présence d’une troupe chargée de leur défense, entourés de murailles, couverts par des ouvrages avancés, ils ne s’alarment de rien, et ils ne cherchent pas à nuire aux peuples voisins. Libres de soucis, vivant dans une sécurité parfaite, ils renoncent à l’usage des armes, et laissent après eux une postérité qui leur ressemble. Semblables aux femmes et aux enfants qui sont à la charge du chef de la famille, ils vivent dans un état d’insouciance qui leur est devenu une seconde nature. » (p. 264)

Sur les gens de la campagne: « Les gens de la campagne, au contraire, se tiennent éloignés des grands centres de population ; habitués aux mœurs farouches que l’on contracte dans les vastes plaines du désert, ils évitent le voisinage des troupes auxquelles les gouvernements établis confient la garde de leurs frontières, et ils repoussent avec dédain l’idée de s’abriter derrière des murailles et des portes ; assez forts pour se protéger eux mêmes, ils ne confient jamais à d’autres le soin de leur défense et, toujours sous les armes, ils montrent, dans leurs expéditions, une vigilance extrême. Jamais ils ne s’abandonnent au sommeil, excepté pendant de courts instants dans leurs réunions de soir, ou pendant qu’ils voyagent, montés sur leurs chameaux ; mais ils ont toujours l’oreille attentive afin de saisir le moindre bruit du danger. Retirés dans les solitudes du désert et fiers de leur puissance, ils se confient à eux-mêmes et montrent par leur conduite que l’audace et la bravoure leur sont devenues une seconde nature. A la première alerte, au premier cri d’alarme, ils s’élancent au milieu des périls, en se fiant à leur courage. Les citadins qui vont se mêler à eux, soit dans le désert, soit dans les expéditions militaires, leur sont toujours à charge, étant incapables de rien faire par eux mêmes, ce dont on peut s’assurer de ses propres yeux. Ils ignorent la position des lieux et des abreuvoirs ; ils ne savent pas à quels endroits les chemins du désert vont aboutir. Cette ignorance provient de ce que le caractère de l’homme dépend des usages et des habitudes, et non pas de la nature ou du tempérament. Les choses auxquelles on s’accoutume donnent de nouvelles facultés, une seconde nature, qui remplace le naturel inné. Examinez ce principe, étudiez les hommes, vous reconnaîtrez qu’il est presque toujours vrai. » (p. 264)

La soumission aux autorités constituées nuit à la bravoure des citadins et leur enlève la pensée de se protéger eux-mêmes

Sur l’influence de la tyrannie: « Un peuple élevé dès sa jeunesse dans la crainte et la soumission ne se targue pas de son indépendance ; aussi trouvons nous chez les Arabes à demi sauvages qui s’adonnent à la vie nomade un degré de bravoure bien supérieur à celui dont les hommes policés sont capables. Les gens qui, depuis leur première jeunesse, ont vécu sous le contrôle d’une autorité qui cherche à former leurs mœurs et à leur enseigner les arts, les sciences et les pratiques de la religion, un tel peuple perd beaucoup de son énergie et n’essaye presque jamais de résister à l’oppression. » (p. 265-266)

La faculté de vivre dans le désert n’existe que chez les tribus animées d’un fort esprit de corps.

« Chez les hommes, le mal se montre sous plusieurs formes, dont les plus évidentes sont l’injustice et la haine. » (p. 268)

L’esprit de corps ne se montre que chez les gens qui tiennent ensemble par les liens du sang ou par quelque chose d’analogue.

La pureté de race ne se retrouve que chez les Arabes nomades et les autres peuples à demi sauvages qui habitent les déserts.

Comment les noms patronymiques des tribus perdent leur exactitude.

Le droit de commander ne sort jamais de la tribu; il reste dans la famille et s’appuie sur de nombreux partisans.

Chez les peuples animés d’un même esprit de corps, le commandement ne saurait appartenir à un étranger.

Chez les familles qui sont animées d’un fort esprit de corps, la noblesse et l’illustration ont une existence réelle et bien fondée; chez les autres, elles ne présentent que l’apparence et le semblant de la réalité.

Sur le faux esprit de corps chez les juifs: « C’est surtout chez les Israélites que ce sentiment est très enraciné. Ils appartiennent à la famille la plus illustre de la terre, et comptent parmi leurs aïeux tous les prophètes et tous les apôtres, à partir d’Abraham jusqu’à Moïse, le fondateur de leur loi. L’esprit de corps avait été très vif chez eux, et l’empire leur était échu en partage, selon la promesse de Dieu. Plus tard, ils perdirent tout ; déchus de leur rang, abreuvés d’humiliations, ils subirent la sentence que Dieu avait portée contre eux ; exilés de leur pays, ils sont restés, depuis des siècles, dans la servitude et dans l’oubli des bienfaits (dont le seigneur les avait comblés). Ils ne cessent, cependant, d’avoir la plus haute opinion de la noblesse attachée à leur race. On leur entend dire : « Un tel descend d’Aaron ; celui-ci est de la postérité de Josué ; celui-là tire son origine de Caleb ; cet autre appartient à la tribu de Juda ; » et cela après avoir perdu leur esprit de corps et vécu dans la dégradation pendant de longs siècles. Ces folles prétentions à la noblesse existent, non seulement chez les juifs, mais chez un grand nombre de citadins appartenant à d’autres races et dont les familles n’ont plus le moindre esprit de corps. » (p. 282)

Si les clients et les créatures d’une famille participent à sa noblesse et à sa considération, ils ne doivent pas cet avantage à leur origine, mais à la réputation de leur patron.

La noblesse atteint son point culminant dans quatre générations.

Le principe de l’érosion: « Le monde formé des (quatre) éléments et ce qu’il renferme sont sujets à la corruption tant dans leur essence que dans leurs accidents; aussi les choses et les êtres des diverses classes, tels que les minéraux, les plantes et tous les animaux, y compris l’homme, changent et se corrompent à vue d’œil. Il en est de même à l’égard des phénomènes que le monde offre à notre observation. Cela se voit surtout chez l’homme : les sciences, ainsi que les arts et toutes les choses de cette nature, naissent pour disparaître. » (p. 286)

« La noblesse parvient à son terme en passant par quatre générations successives, ainsi que nous allons l’expliquer. L’homme qui a fondé la gloire de sa famille sait bien par quels moyens il y est parvenu ; aussi conserve t il toujours intactes les qualités qui lui ont procuré l’illustration et qui la maintiennent. Son fils, auquel il remet le pouvoir, a déjà appris de lui comment il doit se conduire ; mais il ne le sait pas d’une manière complète ; celui qui entend raconter un fait ne le comprend pas aussi bien que le témoin oculaire. Le petit fils succède au commandement et se borne à marcher sur les traces de son prédécesseur et à le prendre pour modèle unique ; mais il ne fait pas les choses aussi bien que lui ; le simple imitateur reste toujours au dessous de celui qui travaille sérieusement. L’arrière petit fils succède à son tour et s’arrête tout à fait dans la voie suivie par ses aïeux ; il ne conserve plus rien de ces nobles qualités qui avaient servi à fonder l’illustration de la famille ; il ose même les mépriser, et il s’imagine que ses aïeux s’étaient élevés à la gloire sans se donner la moindre peine et sans faire le moindre effort. Se figurant que, par le seul fait de leur naissance, ils avaient possédé la puissance de tout temps et de toute nécessité, il se laisse tromper par le respect qu’on lui témoigne, et ne veut pas concevoir que sa famille soit arrivée au pouvoir par son esprit de corps et par ses nobles qualités. Ne sachant pas quelle est l’origine de la grandeur de ses aïeux, il en méconnaît les véritables causes, et croit que le pouvoir leur était venu par droit de naissance ; aussi se met il bien au dessus des guerriers dont l’esprit de corps soutient encore la dynastie. Habitué, dès son enfance, à leur donner des ordres, il demeure convaincu de sa supériorité et il ne se doute pas que leur obéissance ait eu pour cause les grandes qualités au moyen desquelles ses prédécesseurs avaient dompté tous les esprits et gagné tous les cœurs. Ses troupes, indisposées par le peu de considération qu’il leur montre, commencent par lui manquer de respect ; ensuite elles lui témoignent du mépris ; puis elles le remplacent par un nouveau chef, pris dans une autre branche de la même famille. Elles montrent par là que la famille dominante impose toujours par son esprit de corps, fait que nous avons déjà signalé ; mais l’individu qu’elles choisissent est celui dont le caractère leur convient le plus. Dès lors la branche favorisée de la famille prospère rapidement, pendant que l’autre se flétrit et perd tout son éclat. Cela arrive dans toutes les dynasties, dans les familles qui gouvernent des tribus, dans celles dont les chefs occupent de grands commandements et chez tous les peuples dont l’esprit de corps est bien prononcé. Quant aux familles établies dans les villes, elles tombent dans la décadence et leurs familles collatérales les remplacent. » (p. 286-289)

Les quatre générations sont: le fondateur, le conservateur, l’imitateur, le destructeur.

Les tribus à demi sauvages sont plus capables d’effectuer des conquêtes que les autres peuples.

L’esprit de corps aboutit à l’acquisition de la souveraineté.

Une tribu qui se livre aux jouissances du luxe se crée des obstacles qui l’empêchent d’arriver à l’empire.

Une tribu qui a vécu dans l’avilissement et dans la servitute est incapable de fonder un empire.

Une tribu s’avilit qui consent à payer des impôts et des contributions.

Celui qui cherche à se distinguer par de nobles qualités montre qu’il est capable de régner. Sans vertus on ne parvient jamais au pouvoir.

Sur les bons chefs: « Si nous examinons l’histoire des chefs de parti qui ont subjugué des peuples et conquis des royaumes, nous trouverons toujours chez eux le désir de s’illustrer par les qualités les plus honorables. Ils se montrent généreux ; pleins d’indulgence pour les fautes d’autrui ; toujours prêts à soutenir les faibles, à bien accueillir leurs hôtes, à soulager les opprimés et à procurer (aux pauvres) ce qui (leur) manque ; patients dans l’adversité ; fidèles à leurs promesses ; prodigues d’argent pour la défense de leur honneur et pour la gloire de la religion ; pleins d’égards et de considération pour les savants (uléma), qui sont les soutiens de la foi ; se réglant, dans leur conduite, d’après les prescriptions de ces docteurs ; plaçant une grande confiance dans les hommes religieux et croyant que la présence des dévôts et leurs prières portent bonheur ; pleins de modestie en la présence des vieillards, les traitant avec un profond respect ; toujours prêts à satisfaire aux réclamations, à rendre justice aux faibles, même à ceux qui auraient à se plaindre d’eux ; prodiguant leur argent pour le soulagement des malheureux ; écoutant les supplications des opprimés ; se conformant aux prescriptions de la loi divine ; remplissant tous les devoirs de la religion, qu’ils soutiennent de toutes les manières ; s’abstenant de la fraude, des ruses, des perfidies et des actes de mauvaise foi. (A ce tableau) nous pourrions ajouter encore d’autres traits. On reconnaît à cette description des hommes faits pour commander, non seulement à leur propre peuple, mais au monde. Cette disposition heureuse leur vient de la part de Dieu et se règle d’après la force de leur patriotisme et l’étendue de leur ambition. La souveraineté ne leur arrive pas par hasard ou par un jeu de la fortune ; de tous les biens et de toutes les dignités, elle seule convient le mieux à l’esprit qui les anime. Cela montre que Dieu leur avait destiné l’empire et les y avait conduits. » (p. 300-301)

Les peuples les moins civilisés font les conquêtes les plus étendues.

Toutes les fois que l’autorité souveraine échappe des mains d’un peuple, elle passe à un autre peuple de la même race, pourvu que celui-ci ait conservé son esprit de corps.

La souveraineté s’use dans le luxe, et c’est le luxe qui la renverse.

Le peuple vaincu tâche toujours d’imiter les vainqueurs par la tenue, la manière de s’habiller, les opinions et les usages.

Un peuple vaincu et soumis dépérit rapidement.

Les Arabes ne peuvent établir leur domination que dans les pays de plaines.

Sur les Arabes: « Le naturel farouche des Arabes en a fait une race de pillards et de brigands. Toutes les fois qu’ils peuvent enlever un butin sans courir un danger ou soutenir une lutte, ils n’hésitent pas à s’en emparer et à rentrer au plus vite dans la partie du désert où ils font paître leurs troupeaux. Jamais ils ne marchent contre un ennemi pour le combattre ouvertement, à moins que le soin de leur propre défense ne les y oblige. Si, pendant leurs expéditions, ils rencontrent des emplacements fortifiés, des localités d’un abord difficile, ils s’en détournent pour rentrer dans le plat pays. » (p. 309)

Tout pays conquis par les Arabes est bientôt ruiné.

Encore, sur les Arabes: « Les habitudes et les usages de la vie nomade ont fait des Arabes un peuple rude et farouche. La grossièreté des mœurs est devenue pour eux une seconde nature, un état dans lequel ils se complaisent, parce qu’il leur assure la liberté et l’indépendance. Une telle disposition s’oppose au progrès de la civilisation. Se transporter de lieu en lieu, parcourir les déserts, voilà, depuis les temps les plus reculés, leur principale occupation. Autant la vie sédentaire est favorable au progrès de la civilisation, autant la vie nomade lui est contraire. Si les Arabes ont besoin de pierres pour servir d’appuis à leurs marmites, ils dégradent les bâtiments afin de se les procurer ; s’il leur faut du bois pour en faire des piquets ou des soutiens de tente, ils détruisent les toits des maisons pour en avoir. Par la nature même de leur vie, ils sont hostiles à tout ce qui est édifice ; or, construire des édifices, c’est faire le premier pas dans la civilisation. Tels sont les Arabes nomades en général ; ajoutons que, par leur disposition naturelle, ils sont toujours prêts à enlever de force le bien d’autrui, à chercher les richesses les armes à la main et à piller sans mesure et sans retenue. » (p. 310)

En principe général, les Arabes sont incapables de fonder un empire, à moins qu’ils n’aient reçu d’un prophète ou d’un saint une teinture religieuse plus ou moins forte.

Sur les Arabes: « De tous les peuples, les Arabes sont les moins disposés à la subordination. Menant une vie presque sauvage, ils acquièrent une grossièreté de mœurs, une fierté, une arrogance et un esprit de jalousie qui les indisposent contre toute autorité. Aussi le bon accord se trouve bien rarement dans une tribu. S’ils acceptent les croyances religieuses qu’un prophète ou un saint leur enseigne, la puissance qui doit les maintenir dans la bonne voie se trouve alors dans leurs propres cœurs, leur esprit hautain et jaloux s’adoucit, et ils se laissent porter facilement à la concorde et à l’obéissance. C’est la religion qui effectue ce changement : elle fait disparaître leur humeur fière et insolente ; elle éloigne leurs cœurs de l’envie et de la jalousie. Si le prophète ou saint qui les invite à soutenir la cause de Dieu, à remplacer leurs habitudes blâmables par des usages dignes de louange, à combiner leurs efforts afin de faire triompher la vérité ; si cet homme appartient à leur tribu, l’unanimité la plus complète s’établit parmi eux et les met en mesure d’effectuer des conquêtes et de fonder un empire. Au reste, les Arabes ont surpassé tous les peuples par leur empressement à recevoir la vraie doctrine et à suivre la bonne voie. Cela tenait à la simplicité de leur nature, qui ne se laissait pas corrompre par de mauvaises habitudes et qui ne contractait jamais des qualités méprisables. On ne pouvait pas même leur faire un reproche du caractère sauvage par lequel ils se distinguaient naguère ; ce naturel farouche les disposait au bien ; il leur était inné, et n’avait jamais contracté l’immoralité ni la déloyauté dont les âmes reçoivent si facilement l’empreinte. » (p. 314)

De tous les peuples, les Arabes sont les moins capables de gouverner un empire.

Les peuplades et les tribus agricoles qui habitent les campagnes subissent l’autorité des habitants des villes.


Troisième section. Sur les dynasties, la royauté, le khalifat, et l’ordre des dignités dans le sultanat (gouvernement temporel). Indication de tout ce qui s’y présente de remarquable. – Principes fondamentaux et développements.

On ne peut établir une domination ni fonder une dynastie sans l’appui du peuple et de l’esprit de corps qui l’anime.

Une dynastie qui parvient à s’établir d’une manière solide cesse de s’appuyer sur le parti qui l’avait portée au pouvoir.

Des personnages appartenant à une famille royale parviennent quelquefois à fonder un empire sans avoir eu l’appui de leur propre parti.

La religion enseignée par un prophète ou par un prédicateur de la vérité est la seule base sur laquelle on puisse fonder un grand et puissant empire.

Une dynastie qui commence sa carrière en s’appuyant sur la religion double la force de l’esprit de corps qui aide à son établissement.

Une entreprise qui a pour but le triomphe d’un principe religieux ne peut réussir si elle n’a pas un fort parti pour la soutenir.

Unde dynastie ne peut étendre son autorité que sur un nombre limité de royaumes et de contrées: « En effet, les partisans de la dynastie, le peuple qui l’a établie et qui la soutient, doivent se distribuer par bandes dans les divers royaumes et forteresses dont ils ont obtenu la possession. Il faut occuper le pays afin de pouvoir le protéger contre l’ennemi et y faire respecter l’autorité du gouvernement central. Parmi leurs attributions, ces détachements ont pour mission de prélever l’impôt et de contenir les vaincus. Or, quand un empire a éparpillé ses forces de cette manière, il épuise ses moyens d’action, et les limites (extérieures) des provinces (qu’il a conquises) deviennent la frontière de son territoire et marquent toute l’étendue qu’il est capable de prendre. Si le souverain voulait essayer d’augmenter ses possessions, il n’aurait plus assez de troupes pour tout garder, et donnerait à ses ennemis et aux États voisins une occasion favorable de l’attaquer. La crainte qu’il leur inspirait d’abord ne les retiendrait plus, et leurs tentatives audacieuses porteraient un grand préjudice à son autorité. Si les forces de l’empire sont très nombreuses, si l’on ne les affaiblit pas en les distribuant par détachements dans les places fortes et sur les frontières, l’empire a le moyen de s’emparer des régions situées en dehors de ses limites et d’acquérir toute l’étendue qu’il peut recevoir. » (p. 332)

La grandeur d’un empire, son étendue et sa durée sont en rapport direct avec le nombre de ceux qui l’ont fondé.

Un empire s’établit difficilement dans un pays occupé par de nombreuses tribus ou peuplades.

Sur l’échec de l’empire israélite: « En Syrie, les Israélites trouvèrent des tribus composées de Philistins, de Canaanéens, de descendants d’Ésaü, de Madianites, de descendants de Lot (les Moabites), d’Édomites, d’Araméens, d’Amalécites, de Gergéséens et de Nabatéens ; ceux ci se tenaient du côté de la Mésopotamie et de Mosul. Le nombre de ces tribus, ainsi que la diversité de leurs sentiments et de leurs intérêts, était immense. Les Israélites éprouvèrent donc de grandes difficultés avant de pouvoir établir leur domination dans ce pays et y fonder un empire. Leur autorité fut souvent ébranlée par des révoltes, et ils se laissèrent infecter eux-mêmes par l’esprit de désordre qui animait leurs sujets. Aussi se mirent ils souvent en insurrection contre leurs rois, et ils n’eurent jamais un empire solidement établi. Vaincus par les Perses, puis par les Grecs, ils furent enfin subjugués et dispersés par les Romains. » (p. 337-338)

Dans un empire, le souverain est naturellement porté à se réserver toute l’autorité; on s’y abandonne au luxe, à l’indolence et au repos.

« [...] l’esprit de corps dans une tribu est comme le tempérament dans les êtres créés. » (p. 341)

Sur le luxe et ses effets: « Après l’acquisition de l’empire, les vainqueurs renoncent aux travaux et aux fatigues qu’ils s’étaient volontairement imposés et ils cherchent le repos, la tranquillité et le désœuvrement. Ils s’occupent à goûter les fruits de la domination, à se bâtir de beaux édifices, de belles maisons et à se procurer de riches habillements. Ils élèvent des palais, ils construisent des fontaines, ils plantent des jardins et se livrent à la jouissance des biens mondains. Préférant le repos aux fatigues, ils ne s’occupent que de beaux habits, de mets recherchés, de vaisselle et de tapis. S’étant accoutumés à ce genre de vie, ils en transmettent l’habitude à leurs descendants. Le luxe ne cesse de croître chez eux, jusqu’à ce que Dieu fasse connaître sa volonté définitive. » (p. 343)

Lorsqu’un empire a acquis sa forme naturelle par l’établissement de l’autocratie et par l’introduction du luxe, il tend vers sa décadence.

Les empires, ainsi que les hommes, ont leur vie propre.

Sur la durée de la vie des hommes: « Selon les médecins et les astrologues, la vie naturelle de l’homme est de cent vingt ans, de l’espèce que ceux ci nomment grandes années lunaires. La vie, dans chaque race d’hommes, est sujette à des variations, sa durée étant déterminée par les conjonctions (des corps célestes). Elle dépasse quelquefois ce nombre d’années et quelquefois elle ne les atteint pas ; ainsi les hommes nés sous certaines conjonctions vivent jusqu’à cent ans, d’autres jusqu’à cinquante et d’autres jusqu’à quatre vingts ou soixante et dix. Selon les observateurs (des corps célestes), tout cela dépend des indications fournies par les conjonctions. Pour la race actuelle des hommes, la durée de la vie est de soixante ou soixante et dix ans ; ainsi que cela se trouve mentionné dans une des paroles attribuées au Prophète. La vie naturelle de l’homme, celle dont la durée est de cent vingt ans, ne se prolonge que très rarement au delà de ces limites ; cela dépend de certaines positions extraordinaires de la sphère céleste. » (p. 347)

La durée de la vie des empires ne dépasse pas trois générations. La vie d’une génération a quarante ans, période à laquelle la croissance du corps est parvenue à son terme.

Sur les trois générations de l’empire: « Nous avons dit que la durée d’un empire ne dépasse pas ordinairement trois générations. En effet, la première génération conserve son caractère de peuple nomade, les rudes habitudes de la vie sauvage, la sobriété, la bravoure, la passion du brigandage et l’habitude de s’entre partager l’autorité ; aussi l’esprit de tribu dans cette génération reste en vigueur ; son glaive est toujours affilé, son voisinage redoutable, et les autres hommes se laissent vaincre par ses armes. La possession d’un empire et le bien être qui s’ensuit influent sur le caractère de la seconde génération ; chez elle, les habitudes de la vie nomade se remplacent par celles de la vie sédentaire, la pénurie est changée en aisance et la communauté du pouvoir en autocratie. Un seul individu exerce toute l’autorité ; le peuple, trop indolent pour essayer de la reconquérir, échange l’amour de la domination contre l’avilissement et la soumission. L’esprit de corps qui l’anime s’affaiblit à un certain degré ; mais on aperçoit que cette génération, malgré son abaissement, en a conservé encore une portion considérable, qu’elle tenait de la génération précédente. Elle en a connu les mœurs, la fierté, l’amour de la gloire, l’ardeur à repousser l’ennemi et à se défendre ; aussi ne peut elle perdre cet esprit tout à fait. Elle espère même reprendre un jour tous ces traits de caractère ; peut être penset elle qu’elle les possède encore. La troisième génération a oublié complètement la vie nomade et les mœurs agrestes du désert ; elle ne reconnaît plus les douceurs de la gloire et de l’esprit de corps, habituée, comme elle l’est, à subir la domination d’un maître et plongée, par l’influence du luxe, dans toutes les délices de la vie. Des hommes de cette espèce sont une charge pour l’empire ; à l’instar des femmes et des enfants, ils ont besoin de protecteurs ; chez eux l’esprit de corps s’est éteint, le courage de se défendre, de repousser un ennemi ou de l’attaquer leur manque, et, malgré cela, ils cherchent à en imposer au public par leur équipement (militaire), leur habillement, leurs airs d’habiles cavaliers et leur ton présomptueux. Mais cela n’est qu’un faux vernis ; car ils sont, en général, plus lâches que des femmes , et si on les attaque, ils sont incapables de résister. Le souverain s’appuie alors sur des étrangers d’une bravoure reconnue, et s’entoure d’affranchis et de clients en nombre à peu près suffisant pour la défense du pays. Dieu permet enfin que cet empire succombe avec tout ce qui en dépend. Cela fait voir que, dans l’espace de trois générations, les empires arrivent à la décrépitude et changent entièrement de nature. Dans la quatrième génération, l’illustration dont la nation s’était entourée disparaît tout à fait, ainsi que nous l’avons indiqué ailleurs. » (p. 348-349)

Dans les empires, les habitudes de la vie sédentaire remplacent graduellement celles de la vie nomade.

L’aisance du peuple ajoute d’abord à la force de l’empire.

La puissance d’aucun empire ne reste invariable.

Indication des phases par lesquelles tout empire doit passer, et des changements qu’elles produisent dans les habitudes contractées par le peuple pendant son séjour dans le désert: « Les phases ou changements qui ont lieu dans l’état des empires peuvent ordinairement se réduire à cinq. Dans la première, la tribu a obtenu tout ce qu’elle souhaitait , elle a résisté aux attaques, repoussé ses ennemis, conquis un royaume et enlevé le pouvoir à une dynastie qui l’exerçait avant elle. Pendant la durée de cette phase, le souverain partage l’autorité avec les membres de la tribu ; il les associe à sa puissance et travaille avec eux pour faire rentrer les impôts et protéger le territoire de l’empire. Il ne s’attribue exclusivement aucun avantage, car l’esprit de corps, qui avait conduit le peuple à la victoire et qui se maintient encore, l’oblige à borner son ambition. Dans la seconde phase, le souverain usurpe toute l’autorité, il en prive le peuple et repousse les tentatives de ceux qui voudraient partager le pouvoir avec lui. Tant que dure cette phase, il s’occupe à gagner par des bienfaits l’appui des hommes influents, à se faire des créatures, à s’attacher des clients et des partisans en grand nombre, afin de pouvoir réprimer l’esprit d’insubordination qui anime sa tribu et ses parents. Bien que tous ces gens soient descendus du même ancêtre que lui et qu’ils aient eu leur part de pouvoir, il finit par les exclure de toute autorité et à les en repousser, afin de se la réserver en entier pour lui-même. La haute position qu’il s’est faite donne à sa famille une influence exceptionnelle ; aussi se trouve t il dans la nécessité de contenir l’ambition de ses parents, même par l’emploi de la force. Cette tâche est souvent plus difficile que celle de ses prédécesseurs, dont les efforts se bornèrent à conquérir un empire. Ceux ci n’avaient à combattre qu’un peuple étranger et ils s’étaient assuré l’aide de toute une population animée d’un même esprit de corps, tandis que maintenant le souverain doit combattre ses proches parents sans avoir d’autres auxiliaires qu’un petit nombre d’étrangers. Il a donc de grandes difficultés à vaincre pour réussir dans le dessein qu’il a formé. La troisième phase est une période de désœuvrement et de repos. Le souverain jouit maintenant des fruits de ses efforts ; maître de l’empire, il peut se livrer à la passion qui entraîne les hommes vers la recherche des richesses, qui les porte à laisser des monuments durables de leur existence et à se faire une haute renommée. Il consacre ses efforts au soin de faire rentrer les impôts, de bien constater les revenus et les dépenses, de tenir compte de tous ses déboursés et d’employer son argent avec prévoyance. Il fait construire de vastes édifices, des bâtiments immenses, de grandes villes, des monuments énormes. Il comble de dons les chefs de tribu et les grands personnages étrangers qui viennent le complimenter, il enrichit ses parents et prodigue l’or et les honneurs à ses créatures et à ses serviteurs. Il a soin de faire la revue de ses troupes et de leur donner régulièrement, chaque mois lunaire, une solde convenable. Aussi voit on, aux jours de fête, les bons résultats de cette conduite : l’habillement du soldat, son équipement et ses armes, tout est en excellent état. Par la beauté de ses troupes, il excite l’admiration des nations amies et impose à celles qui ont pour lui des sentiments hostiles. Pendant cette phase, le chef de l’État exerce une autorité absolue et agit d’après ses propres inspirations ; jusqu’alors il n’avait travaillé que pour la gloire commune et pour tracer un chemin que ses successeurs devaient suivre. La quatrième phase est une période de contentement et de repos. Le souverain se montre satisfait de la gloire que ses prédécesseurs lui ont transmise ; il vit en paix avec les princes capables de régaler ou de rivaliser avec lui en puissance ; il imite avec une attention scrupuleuse la conduite de ses prédécesseurs, et, bien convaincu de la grande habileté qu’ils avaient déployée en travaillant pour la gloire de la nation, il croirait se perdre s’il cessait de suivre leur exemple. La cinquième phase amène le gaspillage et la prodigalité. Le souverain dépense en fêtes et en plaisirs les trésors amassés par ses prédécesseurs ; il en distribue une partie à ses courtisans sous le titre d’honoraires, et il emploie le reste à maintenir l’éclat de ses réceptions et à s’entourer de faux amis et d’intrigants, auxquels il confie des charges qu’ils sont incapables de remplir et dans lesquelles ils ne savent comment se conduire. Il froisse l’amour propre des chefs de la nation ; il offense les gens qui doivent leur fortune à la bonté de ses prédécesseurs, et en fait ainsi des ennemis qui n’attendent, pour le trahir, que le moment opportun. Il gâte l’esprit de l’armée en employant pour ses plaisirs l’argent qui devait servir à la solder ; jamais il ne s’entretient avec ses soldats, jamais il ne les interroge sur leurs besoins. De cette manière, il détruit l’édifice fondé par ses prédécesseurs. Pendant cette phase, l’empire tombe en décadence et ressent les attaques d’une maladie qui doit remporter et qui n’admet aucun remède. Enfin la dynastie succombe d’une manière dont nous exposerons ailleurs les détails. » (p. 356-360)

La grandeur des monuments laissés par une dynastie est en rapport direct avec la puissance dont cette dynastie avait disposé lors de son établissement.

Une histoire combatue avec le raisonnement scientifique: « Selon ces conteurs, Og était si grand qu’il saisissait des poissons dans la mer et les tenait auprès du soleil pour les faire cuire. Ils connaissaient aussi peu la nature des corps célestes que la constitution de l’espèce humaine, puisqu’ils croyaient que le soleil était chaud et que, plus on se rapprochait de cet astre, plus la chaleur augmentait ; ils ne savaient pas que la chaleur c’est la lumière, et que la lumière, dans le voisinage de la terre, est plus intense qu’ailleurs. Ce phénomène a pour cause la réflexion des rayons solaires, qui, ayant touché le sol, s’en retournent à rencontre des autres rayons et ajoutent encore à leur chaleur. Lorsqu’on dépasse la limite jusqu’à laquelle les rayons réfléchis peuvent atteindre, on n’y trouve plus de chaleur ; dans les régions parcourues par les nuages, il fait froid. Quant au soleil, il n’est ni chaud ni froid, c’est un corps simple, lumineux, sans tempérament distinctif. » (p. 361)

Sur Ibn Batoutah: « Sous le règne du sultan mérinide Abou Eïnan, un membre du corps des cheïkhs de Tanger, nommé Ibn Batoutah, reparut dans le Maghreb. Une vingtaine d’années auparavant il s’était rendu en Orient, où il avait parcouru l’Irac, le Yémen et l’Inde. Dans le cours de ses voyages, il visita Dehli, capitale de l’Inde, et fut présenté à Mohammed Chah, sultan de cet empire. Ce prince l’accueillit avec bonté et lui confia la charge de grand cadi malékite. Revenu dans le Maghreb, Ibn Batoutah fut reçu par le sultan Abou Eïnan et, s’étant mis à raconter les merveilles qu’il avait vues pendant ses voyages dans les divers empires du monde, il parlait surtout du royaume de l’Inde et racontait, au sujet du sultan de ce pays, des anecdotes qui remplissaient d’étonnement tout l’auditoire. » (p. 370)

Sur le sens critique: « [...] aussi doit on toujours rechercher les principes des choses et se tenir en garde contre ses premières impressions ; on pourra alors distinguer, par le simple bon sens et par la justesse de l’esprit, ce qui entre dans le domaine du possible et ce qui n’y entre pas ; on reconnaîtra ensuite pour vrai tout récit qui ne dépassera pas les bornes du possible. Par ce mot, nous n’entendons pas la possibilité absolue, notion purement intellectuelle, dont le domaine est immense et n’assigne aucune limite à la contingence des événements ; le possible dont nous parlons est celui qui dépend de la nature des choses. Lorsqu’on aura reconnu le principe d’une chose, son espèce, sa différence (avec d’autres), sa grandeur et sa force, on pourra partir de là et porter un jugement sur tout ce qui s’y rattache. Si elle dépasse les limites du possible, on ne doit pas l’accueillir. » (p. 372)

Le souverain qui s’engage dans une lutte avec sa tribu ou avec les membres de sa famille se fait appuyer par ses affranchis et ses clients.

Le ministre qui tient un souverain en tutelle se garde bien de prendre les titres et les attributs de la royauté.

Trop de sévérité dans un souverain nuit ordinairement à l’empire.

« De ce qui précède il est évident que, dans un administrateur, une pénétration trop vive est un défaut : c’est un excès d’intelligence, de même que la niaiserie est un excès de naïveté. Or, dans les qualités de l’homme, chaque extrême est également blâmable ; le juste milieu seul mérite des louanges. Ainsi la générosité tient le milieu entre la prodigalité et l’avarice ; la bravoure se place entre la témérité et la lâcheté. Voilà pourquoi on dit d’un homme dont l’intelligence est hors du commun : « C’est un démon (cheïtan), un endiablé (motacheïtan). » (p. 384)

« le législateur inspiré sait mieux que personne ce qui convient au bonheur des hommes, puisqu’il connaît ce qui leur est caché, c’est-à dire les choses de l’autre vie » (p. 386)

« Les lois d’origine humaine n’ont en vue que le bien-être des hommes en ce bas monde » (p. 386)

Sur le khalife: « Le lecteur comprend maintenant la nature du khalifat ; il voit que la royauté pure est une institution conforme à la nature humaine, et qu’elle oblige la communauté à travailler pour accomplir les projets et satisfaire aux passions du souverain ; il reconnaît que le gouvernement réglé par des lois sert à diriger la communauté selon les vues de la raison, afin que le peuple jouisse des biens du monde et se garantisse contre ce qui pourrait lui nuire ; il sait que le khalifat dirige les hommes selon la loi divine, afin d’assurer leur bonheur dans l’autre vie ; car, en ce qui regarde les biens de ce monde ci, le législateur inspiré les rattache à ceux de la vie future. Donc le khalife est, en réalité, le lieutenant du législateur inspiré, chargé de maintenir la religion et de s’en servir pour gouverner le monde. » (p. 386-387)

Sur le khalife et l’imam: « On a nommé le khalife imam, parce qu’on l’a assimilé à l’imam qui dirige la prière publique, et dont les mouvements sont imités par toute la congrégation. De là provient l’emploi du terme grand imamat pour désigner la qualité de khalife. On adopta d’abord le mot khalife, parce que ce chef remplaça le Prophète auprès du peuple. On peut dire le khalife sans aucune addition, ou bien le khalife du Prophète de Dieu. » (p. 387)

Sur l’imam: « Les qualités requises dans un imam sont au nombre de quatre : le savoir, la probité, l’aptitude et l’usage des sens et des membres qui influent sur l’activité de l’esprit ou du corps. On a posé encore une cinquième condition, celle d’appartenir par la naissance à la tribu de Coreïch ; mais sa nécessité a été révoquée en doute. Le savoir est évidemment nécessaire ; il faut être savant pour (connaître et) exécuter les ordonnances de Dieu ; la nomination d’un imam qui ignore la loi n’est pas valide. Le savoir, toutefois, ne suffit pas ; on doit être capable de juger par soi-même, car c’est un défaut que de s’en rapporter toujours à l’avis d’autrui ; et l’individu qui remplit les fonctions d’imam doit être parfait en ce qui regarde les qualités morales et en toute chose. La probité est indispensable, parce que l’imamat est une dignité religieuse, et que l’imam doit avoir sous sa surveillance tous les fonctionnaires dans lesquels la probité est requise comme condition indispensable (de leur nomination). C’est là une très forte raison pour exiger la même qualité dans un imam. L’imam perd sa qualité de probité s’il abuse de ses membres pour commettre des actes répréhensibles ou contraires à la loi. La perd il s’il introduit des nouveautés dans les croyances religieuses ? Cette question reste encore indécise. L’aptitude, dans un imam, c’est son courage à faire exécuter les peines légales et à se montrer dans les combats ; c’est sa prévoyance dans la guerre, son habileté à y entraîner son peuple, sa connaissance du sentiment national et des intrigues politiques, la force d’âme avec laquelle il soutient les fatigues du gouvernement, afin de remplir ses devoirs, qui sont de défendre la religion, de combattre l’ennemi, de maintenir les ordonnances de Dieu, [de régir le monde] et de travailler pour le bien public. Dans un imam, tous les organes des sens et tous les membres du corps doivent être exempts d’imperfection et d’impuissance. La folie, la privation de la vue, la surdité, le mutisme, sont autant de motifs pour exclure de l’imamat. Ce qui nuit à l’activité du corps en exclut également, comme la perte des deux mains ou des deux pieds. On exige, dans un imam, qu’il ait tous les sens, tous les membres en bon état ; car l’absence d’un membre ou d’un sens nuirait à ses occupations et l’empêcherait de remplir les fonctions dont on l’a chargé. La perte d’une seule main ou d’un seul pied, ou toute autre imperfection (qui ne nuit pas à l’activité du corps, mais) qui blesse la vue, suit aussi pour exclure de l’imamat ; il est absolument nécessaire que l’imam soit sans défaut ; cela est une des conditions auxquelles il doit satisfaire. On met sur la même ligne, avec la perte d’un membre, tout ce qui prive l’imam de la faculté d’agir. Cette impuissance peut avoir deux caractères distincts ; dans le premier cas, l’incapacité d’agir résulte de la captivité, de la force majeure, ou de tout autre empêchement de ce genre. La règle qui exige impérieusement que le corps de l’imam soit sans défaut s’applique également à ce cas. Dans le second, un des serviteurs de l’imam le tient en tutelle et le domine, sans y être parvenu à la suite d’une rupture avec lui ou par une révolte contre son autorité. Si, en examinant la conduite de ce gardien, on reconnaît qu’il agit selon les préceptes de la religion et de la justice, et que sa manière de gouverner mérite des éloges, l’imam peut être conservé dans son office. Si la conduite générale du gardien est répréhensible, les musulmans doivent appeler à leur aide quelqu’un qui soit capable de lui enlever son autorité usurpée, et de mettre l’imam en état de remplir les devoirs d’un khalife. (p. 392-394)

« Quant au motif qui fit adopter la condition d’être né Coreïchide, nous lui donnons l’application la plus étendue et nous disons que l’individu chargé des intérêts de la nation musulmane doit appartenir à une famille qui, au moyen de son esprit de corps, domine sur ses contemporains ; il pourra alors se faire obéir par d’autres familles et les réunir pour la défense de la nation. Il est vrai que son autorité ne s’étendra pas, comme celle des Coreïch, sur toutes les parties du monde. Ceux ci avaient à soutenir une cause d’un intérêt général ; en combattant pour l’islamisme, ils obtinrent l’appui patriotique de toute la race arabe, de sorte qu’ils purent subjuguer les autres nations. De nos jours encore, il faut à chaque contrée du monde, pour la gouverner, un homme ayant à sa disposition un parti puissant. » (p. 399)

Sur les chîïtes: « Le mot chiyâ (Chîïtes), signifie, dans le langage ordinaire, compagnons ou suivants ; mais, dans la terminologie des légistes et des théologiens dogmatiques, tant anciens que modernes, il s’emploie pour désigner les partisans d’Ali et de ses descendants. » (p. 400)

L’opinion des chîïtes sur l’imam: « Les Chîïtes s’accordent à déclarer que la nomination d’un imam n’est pas de ces choses ordinaires que l’on abandonne à la décision du peuple ; que l’imamat est la colonne de la religion et la base de l’islamisme ; que le Prophète ne doit pas le négliger ; qu’il n’a pas le droit de laisser le choix d’un imam à la communauté musulmane ; que son devoir l’oblige à lui en assigner un ; que l’imam est absolument impeccable ; qu’Ali fut la personne désignée par le Prophète pour remplir les fonctions d’imam. Ils appuient ces opinions sur certains textes qu’ils ont reçus par la voie de la tradition, et auxquels ils donnent une explication conforme à leur doctrine ; textes inconnus aux hommes les plus habiles dans la critique des traditions qui se rapportent au Prophète et ignorés des docteurs qui se sont transmis la connaissance parfaite de la loi. » (p. 400)

Sur la dégénérescence du khalifat: « Ce que nous avons dit fait comprendre comment le khalifat se métamorphose en royauté : d’abord il existait comme khalifat, et chaque individu avait en lui-même un moniteur qui le retenait dans le devoir. Ce moniteur était la religion ; pour elle on renonçait aux richesses, et l’on sacrifiait sa fortune et sa vie pour le bien de la communauté. [...] On a vu que le khalifat se transforma en monarchie tout en conservant ses fonctions essentielles : le souverain s’efforçait toujours de faire observer les préceptes et les pratiques de la religion et tâchait de suivre le sentier de la vérité. Aucun changement ne s’y faisait remarquer, excepté dans l’autorité modératrice qui, exercée d’abord par la religion, venait d’être remplacée par la force d’un parti et par celle de l’épée. [...] Le gouvernement devint une monarchie pure, et l’esprit de la domination, porté maintenant au plus haut point, s’employait pour conquérir et pour gratifier les passions et augmenter les plaisirs du souverain [...]. L’empire, pendant les deux premières phases de son existence, se confondait avec le khalifat ; mais lorsqu’il eut épuisé (dans ses guerres) les populations qui formaient la nation arabe, le khalifat cessa d’exister. A cette époque l’autorité suprême prit la forme d’une monarchie pure. En Orient, les souverains étrangers qui étaient au service de l’empire, reconnaissaient, par un sentiment de piété, la suprématie des khalifes ; mais ils les avaient privés des titres et attributions de la royauté pour se les approprier. » (p. 421-424)

Sur le serment de foi: « Le mot béiâ signifie prendre l’engagement d’obéir. Celui qui engageait sa foi en faisant le béiâ reconnaissait, pour ainsi dire, à son émir, le droit de le gouverner, ainsi que tout le peuple musulman ; il promettait que, sur ce point, il ne lui résisterait en aucune manière, et qu’il obéirait à tous ses ordres, lui fussent ils agréables ou non. Au moment d’engager sa foi envers l’émir, on mettait la main dans la sienne pour ratifier le contrat, ainsi que cela se pratique entre vendeurs et acheteurs. C’est pourquoi on a désigné cet acte par le terme béiâ, qui est le nom d’action du verbe baâ (vendre ou acheter). Donc la signification primitive de béiâ, est de se prendre par les mains. Telle est l’acception du mot dans le langage usuel et dans celui de la loi ; c’est encore ce que l’on entend par béiâ dans les traditions où il est question du serment prêté au Prophète dans la nuit nommée nuit de l’Acaba, et (dans l’assemblée qui eut lieu) auprès de l’arbre, telle en est aussi la véritable signification partout où il se présente. De là vient l’emploi du mot béiâ pour désigner l’inauguration des khalifes. On dit de même : serment de béiâ (ou d’inauguration), parce que les khalifes exigeaient que la promesse d’obéissance envers eux fût accompagnée d’un serment réunissant les formules qui peuvent s’employer dans une déclaration solennelle. On ne prêtait pas ordinairement ce serment à moins d’y être contraint ; aussi l’imam Malek déclara, par une décision juridique, que tout serment fait à contrecœur était nul. Les officiers du gouvernement rejetèrent cette déclaration comme portant atteinte au serment de béiâ, et de là vinrent les mauvais traitements que ce docteur eut à subir. » (p. 424-425)

Sur l’imamat: « L’essentiel de l’imamat, avons nous dit, est de veiller au bien temporel et spirituel de la communauté. L’imam est le patron et le syndic de tous les musulmans, le gardien de leurs intérêts pendant sa vie, et même après sa mort ; car il leur désigne une personne qui doit diriger leurs affaires avec autant de soin qu’il en avait mis lui-même ; et ils acceptent ce choix avec la même confiance qu’ils avaient toujours montrée auparavant. La loi reconnaît à l’imam le droit de se donner un successeur ; elle repose sur l’accord unanime du peuple à permettre de telles nominations. » (p. 426)

« Voilà à quoi il faut réfléchir quand on a l’intention de désigner son successeur ; les générations changent de caractère selon les changements qui ont lieu dans les tribus et dans les partis politiques, et cela influe sur le choix des moyens qu’on doit employer pour maintenir la prospérité de la nation. Pour chaque fin il y a un moyen, grâce à la bonté de Dieu envers ses serviteurs. » (p. 429)

Sur l’imamat: « Le second point à examiner, c’est la déclaration par laquelle, s’il faut en croire les Chîïtes, le Prophète aurait désigné Ali comme héritier de l’imamat. Cette déclaration n’a jamais été faite ; dans les traditions provenant des meilleures autorités, on ne trouve rien qui s’y rapporte. Nous lisons dans le Sahîh, que le Prophète avait demandé un encrier et du papier afin d’écrire ses dernières volontés, et qu’Omar s’y opposa. Cela démontre d’une manière évidente que le testament en faveur d’Ali n’a pas été fait. Nous en avons encore une preuve dans une parole d’Omar. Quand il fut frappé à mort par un assassin, on lui demanda s’il ferait un testament : « Un meilleur que moi, répondit il, en a fait un », il pensait à Abou Bekr, « et un meilleur que moi n’en a pas fait », c’est à dire, le Prophète ; « je pourrais imiter ou l’un ou l’autre. » Les Compagnons qui avaient assisté à cette déclaration convinrent que le Prophète n’avait pas fait de testament. Une autre preuve est fournie par Ali lui-même. Quand El-Abbas l’invita à entrer avec lui chez le Prophète pour lui demander auquel des deux il léguerait l’autorité, Ali refusa de l’accompagner et lui dit : « S’il ne la donne à aucun de nous, nous devrions y renoncer à jamais. » Donc Ali savait que le Prophète n’avait légué ni promis (l’imamat) à personne. L’erreur des imamiens provient d’un principe qu’ils ont adopté comme vrai et qui ne l’est pas ; ils prétendent que l’imamat est une des colonnes de la religion, tandis que, en réalité, c’est un office institué pour l’avantage général et placé sous la surveillance du peuple. S’il était une des colonnes de la religion, le Prophète aurait eu soin d’en déléguer les fonctions à quelqu’un, de même qu’il l’avait fait pour la prière publique, dont il confia la présidence à Abou Bekr ; et il aurait ordonné de publier le nom de son successeur désigné, ainsi qu’il l’avait déjà fait pour le chef de la prière. Les Compagnons reconnurent Abou Bekr pour khalife, à cause de l’analogie qui existait entre les fonctions de khalife et celles de chef de la prière. « Le Prophète, dirent ils, l’avait choisi pour veiller à nos intérêts spirituels ; pourquoi n’en voudrions nous pas pour veiller à nos intérêts mondains ? » Cela montre que le Prophète n’avait légué l’imamat à personne, et qu’on attachait à cet office et à sa transmission beaucoup moins d’importance que de nos jours. (p. 430-431)

« On sait que le khalifat est, en réalité, une lieutenance ; le khalife remplace le législateur en ce qui regarde le maintien de la religion et le gouvernement du monde. Le législateur, étant chargé de faire respecter les obligations imposées par la loi et de porter les hommes à s’y soumettre, exerce nécessairement l’autorité spirituelle ; obligé de veiller au bien de la société, il exerce également l’autorité temporelle. » (p. 444)

Sur les charges officielles: « Les charges fondées sur la religion et la loi, et subordonnées au grand imamat, c’est à dire au khalifat, sont celles de président de la prière, de cadi (juge), de mufti (légiste consultant), de directeur de la guerre contre les infidèles et de chef de la police armée. Le khalifat est donc la mère, pour ainsi dire, de toutes ces charges, le tronc d’où sortent ces branches et auquel elles se rattachent. Il jouit de cette supériorité parce que celui qui le remplit étend sa surveillance sur toute la nation, dirige sans contrôle les affaires spirituelles et temporelles, et fait exécuter partout les prescriptions de la loi. » (p. 445)

La charge de mufti: « Le khalife choisit, parmi les légistes et les professeurs, la personne la plus capable de remplir les fonctions de mufti. Il lui accorde son appui, et repousse les hommes qui se posent comme muftis sans en être dignes ; car c’est un office institué pour l’avantage des musulmans en ce qui regarde les préceptes et la pratique de la religion ; aussi doit il montrer une grande vigilance afin d’empêcher que des hommes sans mérite n’entreprennent d’exposer la loi et de tromper ainsi le peuple. Les professeurs désignés pour répandre par l’enseignement les lumières de la science doivent tenir leurs séances dans une mosquée. Si c’est une des grandes mosquées dont l’imam et l’administration sont placés sous la surveillance du sultan, le professeur ne peut y enseigner sans l’autorisation du prince. S’il veut faire son cours dans une mosquée ordinaire, il n’a pas besoin de permission. Au reste, tout mufti, tout professeur doit avoir en lui-même son propre moniteur qui l’empêche d’entreprendre ce qui est au dessus de ses forces ; autrement il pourrait égarer ceux qui le prennent pour guide, et se fourvoyer lui-même. Il y a une tradition qui dit : « Celui d’entre vous qui est le plus hardi à donner des fetoua (opinions juridiques) est aussi le plus hardi à courir vers le fond de l’enfer. » Aussi le sultan doit il les surveiller avec attention et ne jamais perdre de vue les intérêts de la communauté, soit qu’il les autorise (à prononcer sur des questions de droit), soit qu’il les en empêche. (p. 447-448)

L’office de cadi: « Cette charge dépend aussi du khalifat, puisque ses fonctions consistent à décider entre les individus qui sont en contestation, et à faire cesser leurs débats et réclamations, mais seulement par l’application des articles de la loi qui sont fournis par le Coran et la Sonna. Elle rentre, pour cette raison, dans les attributions du khalifat. Aux premiers temps de l’islamisme, les khalifes remplissaient cette tâche et ne la déléguaient jamais à qui que ce fût. Le premier qui confia ces fonctions à un autre fut Omar ; à Médine, il prit pour collègue Abou Derda ; il désigna Choreïh pour être cadi à Basra et Abou Mouça ’l-Achâri pour rendre la justice à Koufa. Ce fut à celui-ci qu’il adressa l’épître si bien connue qui roule sur les devoirs d’un cadi et qui les rapporte tous. Dans cet écrit il dit : « Rendre justice est une obligation rigoureuse, un usage qu’il faut suivre. Écoute les plaideurs avec attention, car à quoi bon réclamer ses droits si cela ne produit point d’effet. Dans tes regards, dans ton tribunal et dans ta justice, qu’il y ait pour tous égalité parfaite, afin que l’homme puissant ne compte pas sur ta partialité et que l’homme faible ne désespère pas de ta justice. C’est au demandeur à fournir la preuve et au défendeur à se purger par serment. Entre musulmans, la transaction est permise, tant qu’elle n’autorise pas ce qui est défendu et tant qu’elle ne défend pas ce qui est autorisé. Si tu as prononcé un jugement la veille, et qu’en y réfléchissant le lendemain tu sois conduit à rectifier ton opinion, n’hésite pas à revenir à la vérité, car la vérité est éternelle ; mieux vaut y revenir que persister dans l’erreur. Pèse bien les opinions qui te passeront par la tête, et qui n’auront ni Coran ni Sonna pour les justifier. Familiarise toi avec les ressemblances des choses et leurs similitudes, afin de pouvoir juger de chaque chose d’après celles qui lui sont analogues. Si un plaideur déclare qu’il n’a pas avec lui le titre ou la preuve dont il veut se servir, remets la cause à un autre jour, afin qu’il puisse trouver ce qui lui manque. Si à l’expiration du délai il produit la preuve qu’il cherchait, décide en sa faveur ; s’il ne le fait pas, prononce contre lui. C’est la meilleure manière de dissiper les doutes que l’on peut avoir et d’éclairer son ignorance. Les musulmans peuvent être adels les uns des autres, excepté ceux qui ont subi une peine corporelle ou qui ont été convaincus de faux témoignage, ou que l’on suspecte de se donner comme clients ou membres d’une famille qui n’est pas la leur. Dieu, que son nom soit glorifié ! est le seul juge qui puisse se passer de serments et de preuves testimoniales. Pendant l’audience, ne cède pas à des mouvements d’impatience ou d’ennui ; ne traite pas les plaideurs avec dédain ; Dieu réserve une grande récompense et une honorable mention à celui qui rétablit la vérité et la remet dans sa place. Salut ! » (p. 449-450)

L’adala : « Cet office tient à la religion ; il dépend de celui de cadi, et est placé sous le contrôle de ce magistrat. Il consiste à servir de témoin aux parties dans leurs mutuelles obligations, et cela avec l’autorisation du cadi, à prêter son concours quand on veut passer l’acte, à déposer en justice si l’acte donne lieu à une contestation, à l’inscrire sur les registres afin d’assurer la conservation des droits des particuliers, de leurs propriétés, de leurs créances et de toutes leurs transactions. [...] Les conditions requises pour être appelé à ces fonctions sont de se distinguer par cette intégrité qui est définie par la loi, d’être à l’abri de reproche, de savoir rédiger les actes et les contrats de manière qu’ils soient satisfaisants sous le rapport du style et de l’arrangement des paragraphes, et sous celui de l’emploi des formes exigées par la loi pour la validité des conventions et des obligations. Il est donc nécessaire de connaître la partie du droit qui s’y rapporte. C’est à cause de ces conditions et de la nécessité d’avoir une certaine habitude des formalités légales et de s’être familiarisé avec leur pratique, que ces fonctions ont été confiées exclusivement à quelques personnes prises parmi les hommes d’une probité reconnue. On pourrait croire que cet emploi donne aux personnes qui l’exercent leur titre d’hommes intègres (adel) ; mais il n’en est pas ainsi, l’intégrité étant la condition nécessaire de leur nomination. Le cadi doit surveiller la conduite de ces officiers, afin de s’assurer qu’ils persévèrent dans l’observation d’une parfaite intégrité ; il ne faut pas qu’à cet égard il se laisse aller à aucune négligence, attendu que c’est lui qui est chargé de maintenir les particuliers dans la jouissance de leurs droits, et qu’il en est le garant responsable (devant Dieu). L’établissement de ces fonctionnaires dans les attributions déjà mentionnées est d’une grande utilité ; c’est par leur entremise que le cadi parvient à reconnaître la moralité et la probité d’un individu quelconque ; ce qui n’est pas toujours facile à découvrir, surtout dans les grandes villes, et parce que les apparences sont souvent trompeuses. Les juges étant obligés de prononcer entre les parties adverses d’après des preuves authentiques, c’est le plus souvent d’après la déclaration de ces fonctionnaires subalternes qu’ils forment leur opinion sur la validité des titres produits par les plaideurs. Dans toutes les grandes villes, ces officiers ont des échoppes ou des bancs où ils se tiennent assis pour que tous ceux qui ont besoin de contracter devant témoins et de faire mettre leurs conventions par écrit viennent les y trouver. Ainsi le mot adala sert également à exprimer les fonctions de l’emploi dont nous venons de donner la définition et la probité exigée par la loi, probité qui (dans une expression bien connue) se trouve associé (par opposition) avec le terme djarh . Ainsi ces deux sens peuvent quelquefois se trouver réunis dans le même individus d’autres fois, ils ne le sont pas . » (p. 457-458)

De la charge nommée hisba: « La hisba (police municipale) est encore un office qui tient à la religion. Ses devoirs font partie de ceux qui sont imposés au directeur des affaires du peuple musulman et qui consistent à ordonner le bien et à défendre le mal. Le souverain choisit, pour remplir cet office, un homme qui lui paraît avoir les qualités nécessaires. Ce fonctionnaire, étant chargé d’exécuter les devoirs qu’impose sa place, prend des hommes pour l’aider dans ses fonctions. Il recherche les abus, réprimande les délinquants ou les châtie suivant leur degré de culpabilité. Devant obliger le peuple à observer tout ce qui est requis dans l’intérêt commun des habitants de la cité, il empêche qu’on obstrue le passage de la voie publique, et défend aux portefaix et aux bateliers de se charger, eux ou leurs barques, outre mesure. Il oblige les propriétaires des maisons qui menacent ruine à les faire démolir, et prévient ainsi les accidents qu’elles pourraient occasionner aux passants ; il interdit de leurs fonctions les instituteurs qui, dans les écoles où l’on apprend à écrire (les écoles primaires) et autres lieux d’instruction, frappent avec excès leurs écoliers. Ses fonctions ne se bornent pas à faire justice quand une contestation est portée devant lui ou quand on a recours à son autorité ; il doit mettre ordre à tout ce qui vient à sa connaissance et à ce qui lui est dénoncé en fait de choses de ce genre. Ses attributions, toutefois, ne s’étendent pas jusqu’à prononcer sur toutes sortes de réclamations ; elles n’embrassent que les plaintes qui ont pour objet des fraudes ou des malversations dans le commerce des subsistances et autres choses semblables, ou dans l’usage des poids et des mesures de capacité. Il engage les débiteurs retardataires à satisfaire leurs créanciers et s’occupe d’autres choses de cette nature, dans lesquelles il n’y a ni preuves testimoniales à recevoir, ni autorité judiciaire à exercer. On pourrait dire que ce sont des affaires dont les cadis dédaignent de s’occuper, tant elles sont ordinaires et faciles à décider ; et qu’on les laisse, pour cette raison, au mohteceb, afin qu’il y mette ordre. » (p. 458-459)

De la charge nommée sicca: « Ce qu’on entend par sicca, c’est un office dont les fonctions consistent à inspecter les espèces qui ont cours parmi les musulmans ; à empêcher qu’on les altère ou qu’on les rogne, si on les prend au compte dans le commerce, et à examiner tout ce qui se rattache à cela de quelque manière que ce soit ; ensuite à faire mettre sur ces monnaies le type du sultan, pour en attester le titre et le bon aloi ; type qui s’imprime sur les pièces au moyen d’un coin de fer destiné à cet usage et qui porte une légende conforme à son emploi. On place ce coin sur la pièce d’or ou d’argent, après qu’elle a été mise au poids déterminé, et l’on frappe dessus avec un marteau, jusqu’à ce qu’elle en ait reçu l’empreinte. Cette marque atteste que la pièce a le degré de fin auquel la fonte et l’affinage doivent s’arrêter, ce qui dépend de l’usage reçu dans le pays et autorisé par le gouvernement. Il n’y a point de titre absolu et invariable de fonte et d’affinage ; ce titre est arbitraire. Quand, dans un pays, on est convenu d’un certain degré de fonte et d’affinage, on s’y arrête et l’on nomme cela étalon (imam) et module (eïar). C’est d’après ce titre qu’on vérifie les espèces ; on juge leur bonté en les comparant avec ce même titre, et, si elles sont au dessous, on les déclare mauvaises. La surveillance de tout cela appartient à celui qui est revêtu de l’office de sicca. D’après ces observations, on voit que la sicca est du nombre des places qui dépendent de l’autorité spirituelle et se rangent sous l’office de khalife. Autrefois elle était dans les attributions du cadi ; mais plus tard elle en a été séparée, et jusqu’à nos jours elle constitue une fonction spéciale, comme cela est arrivé pour l’office du mohteceb. » (p. 460)

Sur la dignité juive de Cohen: « Le chef qui veillait à la conservation de la foi portait, chez eux, le nom de Cohen ; lieutenant de Moïse, pour ainsi dire, il dirigeait les cérémonies de la prière et les sacrifices. Pour remplir ces fonctions, on devait être de la postérité d’Aaron, parce que, selon la révélation divine, elles devaient appartenir à Aaron et à ses enfants. Pour donner de la consistance à l’administration politique, institution naturelle aux hommes, ils firent choix de soixante et dix cheïkhs (chefs ou vieillards), auxquels ils confièrent l’application des lois qui réglaient les intérêts de la communauté. Le Cohen, chargé des affaires de la religion et libre des tracas de la politique, occupait un rang qui le plaçait au dessus de ces fonctionnaires. A la suite de cette organisation, l’esprit national se fortifia, les forces qui conduisent à la royauté se développèrent franchement, et le peuple juif enleva aux Chananéens le territoire de Jérusalem, pays que Dieu, parlant par la bouche de Moïse, leur avait assuré comme héritage. » (p. 469-470)

Petit parcours de histoire juive: « Ils eurent alors à repousser les attaques des peuples de la Palestine, des Chananéens, des Armen, des Édomites, des Ammonites et des Moabites. Pendant environ quatre cents ans, ils combattirent sous les ordres de leurs cheïkhs, dont aucun ne fut tenté d’usurper l’autorité suprême. Fatigués enfin de cette lutte prolongée contre tant de peuples, les Israélites demandèrent à Dieu, par l’entremise de Samuel, un de leurs prophètes, la permission de se donner un roi. Saül, à qui on déféra l’autorité royale, subjugua plusieurs peuples, et Goliath, roi des Philistins, perdit la vie. Après Saül, la royauté passa à David. Sous le règne de Salomon, successeur de David, l’empire juif devint très redoutable ; il s’étendit à travers le Hidjaz jusqu’aux frontières du Yémen et (de l’autre côté) il touchait aux limites du territoire grec. Après la mort de Salomon, les (douze) tribus brisèrent les liens qui les retenaient ensemble et s’organisèrent en deux nations distinctes, résultat inévitable de l’esprit de parti dans tous les empires. Une de ces nations, composée de dix tribus, occupait le territoire de Naplouse ; le siège de leur empire était Sébaste (Samarie), ville qui, depuis le temps de Bokht Nasar (Nabuchodonosor), est restée en ruines ; l’autre, formée par les tribus de Juda et de Benjamin, possédait Jérusalem. Plus tard Bokht Nasar, roi de Babel (Babylone), enleva aux dix tribus le royaume qu’elles avaient à Sébaste; ensuite il enleva la ville de Jérusalem aux descendants de Juda, après que leur royaume eut duré environ mille ans. Il détruisit leur mosquée (le temple), brûla leur Pentateuque, abolit leur religion, et fit transporter à Ispahan et dans l’Irac les tribus qu’il avait vaincues. Soixante et dix années plus tard, un roi de la famille caïanide qui régnait sur la Perse les renvoya à Jérusalem. Ils rebâtirent alors leur temple, rétablirent leur religion dans son ancienne forme et la placèrent sous la direction des Cohens ; mais l’administration temporelle resta entre les mains des Perses. Alexandre (le Grand) et les enfants de Younan (les Ioniens, les Grecs), ayant vaincu les Perses, étendirent leur domination sur les Juifs. Plus tard, la puissance des Grecs s’affaiblit, et les Juifs, forts par l’influence naturelle de leur esprit de corps, secouèrent le joug de l’étranger et commirent aux Cohens de la famille d’Asmonée les rênes du gouvernement. Ils combattirent les Grecs jusqu’à ce que leur puissance fût anéantie, et, vaincus par les Romains, ils passèrent sous leur domination. Plus tard, ceux ci marchèrent contre Jérusalem, où se tenaient les descendants d’Herodos (Hérode), qui étaient attachés par les liens du mariage aux Asmonéens. Ayant assiégé les Juifs dans cette ville, dernier reste d’un si grand empire, ils la prirent d’assaut et y mirent tout à feu et à sang. Jérusalem fut détruite et les habitants furent déportés à Rome et dans les pays au delà de cette ville. Ainsi fut ruiné le temple pour la seconde fois. Les Juifs désignent cette époque par le nom de la grande expatriation. Depuis lors le peuple juif n’a jamais possédé de royaume et, n’étant plus soutenu par l’esprit de corps, est resté sous la domination des Romains et des nations qui les ont remplacés. C’est le chef appelé le Cohen qui dirige les affaires de leur religion. » (p. 470-472)

Sur Jésus et le christianisme: « Le Messie apporta aux Juifs une doctrine religieuse et abolit plusieurs ordonnances du Pentateuque. Il opéra des miracles étonnants, guérissant les gens atteints de folie et rendant la vie aux morts. Une foule de monde accourut auprès de lui et crut à sa mission. Ce nombre fut augmenté par les efforts des apôtres, ses disciples, qui étaient douze en nombre, et dont il envoya plusieurs dans diverses parties du monde afin d’y prêcher sa religion. Ceci eut lieu sous le règne d’Auguste, premier des rois nommés Césars, et sous l’administration d’Hérode, souverain des Juifs, lequel avait enlevé le pouvoir à ses parents, les Asmonéens. Les Juifs portèrent envie au Messie et le traitaient de menteur ; aussi Hérode le dénonça à César-Auguste, dans une lettre qu’il lui envoya. Auguste lui donna la permission de le mettre à mort. Alors eut lieu ce qui se lit dans le Coran au sujet du Messie ; les apôtres se dispersèrent pour lui gagner des partisans ; la plupart d’entre eux passèrent dans l’empire romain pour y répandre la doctrine chrétienne, et Pierre, le chef des apôtres, s’établit à Rome, capitale des États des Césars. Ensuite ils mirent par écrit l’Évangile, que Jésus avait reçu du ciel ; ils firent quatre exemplaires (ou rédactions) de ce livre, pour représenter le texte tel qu’il leur avait été transmis par diverses voies. Matthieu écrivit son évangile en hébreu, à Jérusalem, et Jean, fils de Zébédée, le traduisit en langue latine ; Luc écrivit le sien en latin pour l’instruction de quelques grands personnages d’entre les Romains ; Jean, fils de Zébédée, écrivit le sien à Rome ; Pierre en écrivit un en latin et le mit sous le nom de Marc, son disciple. Ces quatre rédactions de l’Évangile ne s’accordent pas entre elles ; d’ailleurs elles ne se composent pas entièrement d’une révélation pure : on y a inséré des discours prononcés par Jésus et par les apôtres. Elles renferment beaucoup de conseils et d’histoires, mais très peu d’ordonnances. Vers cette époque, les apôtres se réunirent à Rome pour rédiger les canons de la religion, et ce fut Clément, le disciple de Pierre, qui les mit par écrit. » (p. 472-473)

Encore sur le christianisme: « Les empereurs romains tantôt embrassèrent cette religion et traitèrent les chrétiens avec honneur, tantôt la rejetèrent et firent subir à ceux qui la professaient la peine de mort ou de bannissement. Cet état d’incertitude se prolongea jusqu’à la venue de Constantin, qui s’était converti au christianisme. Dès lors tous (les Romains) y restèrent attachés. Celui qui est à la tête de cette religion et qui en fait observer les prescriptions s’appelle batrik (patriarche) ; les chrétiens le regardent comme le chef de la religion et le lieutenant du Messie. Aux agents et représentants qu’il envoie jusqu’aux nations chrétiennes les plus éloignées, on donne le nom d’oscof (évêque), ce qui veut dire lieutenant du patriarche. L’imam qui préside à la prière et que l’on consulte sur des questions religieuses porte le noie de cacîs (prêtre). Ceux d’entre eux qui renoncent au monde pour vivre dans l’isolement et se livrer aux pratiques de la dévotion reçoivent le nom de raheb (moine). Ils s’enferment ordinairement dans les tours des églises. » (p. 474)


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