14 juin 2006

Abu Hamid Al-Ghazzâlî, Al-Munqid min addalâl, (note de lectura)

Texte publié chez Hakîkat Kitâbevi, Istambul, Turquie.

Première partie. Introduction et position du problème

L’écriture est autobiographique.

Constat de la diversité des formes religieuses: « Sache que les religions et les croyances des hommes sont diverses; que les tendances de la communauté diffèrent, entre les groupes et les voies: océan profond où la majorité a sombré et dont une minorité s’est tirée. »

Affirmation qui éclaircit les traits de la personnalité d’Al-Ghazzâlî: “Pour moi, je n’ai jamais cessé, dès ma prime jeunesse, dès avant mes vingt ans jusqu’à ce jour (j’en ai plus de cinquante), de me lancer dans les profondeurs de cet océan [de la diversité des formes]. Je plonge dans ses gouffres en audacieux et non en homme craintif et timoré. Je m’enfonce dans les questions obscures; je me précipite sur les difficultés; Je me laisse choir hardiment dans les précipices; je scrute la croyance de chaque secte; j’examine les aspects cachés, du point de vue doctrinal, de chaque groupe religieux.”

intérioriste – batmî
extérieuriste – zahirî
philosophe – falsafî
science de la foi islamique - ‘Ilm-Ul-Kelâm
matérialiste – zindîq

Hadith: “Tout homme naît comme apte à la religion islamique, ce sont ses parents qui font de lui un juif, un chrétien ou un mazdéen”.

Parfois, Al-Ghazzâlî ressemble à Descartes, comme ici: « Une force intérieure me poussa à rechercher l’authenticité de la nature originelle et celle des croyances issues du conformisme des parents et des maîtres. Je cherchai à discerner, parmi ces traditions dont les prémisses sont passivement reçues, et dont la discrimination laisse place à la controverse. »

Il veut connaître « la réalité profonde des choses » et « l’essence de la connaissance ».

Sur le visage de la science recherchée: « Or, la science certaine est celle dont l’objet connu se révèle sans laisser de place au doute, sans qu’aucune possibilité d’erreur ou d’illusion ne l’accompagne; possibilité à laquelle le coeur ne se prêtrait même pas. Il faut donc que l’on soit à l’abri de l’erreur, et que ce sentiment soit lié à la certitude. Ainsi, toute tentative pour changer, par exemple, la pierre en or et la baguette en serpent, n’engendrerait ni doute, ni probabilité contraire; je sais bien que dix est plus grand que trois; si quelqu’un vient me prétendre le contraire, et le veut prouver, devant moi, en changeant incontinent une baguette en serpent, aucun doute, de ce fait, ne saurait m’atteindre. Certes je m’étonnerais d’un pareil pouvoir, mais ne douterais point de ma science. » [Il est intéressant de constater que les allusions sont faites à l’alchimie, à la théurgie et aux mathématiques.]

Deuxième partie. Les sophistes et le problème radical de la connaissance

Encore du pur carthésianisme: « Je fus alors livré au désespoir, me trouvant incapable d’aborder les problèmes autres que les évidences — celles des sens et celles de la raison. Il me fallait clairement discerner la nature de ma confiance dans les données sensibles et de mon assurance d’être à l’abri de l’erreur dans les nécessités de raison. »

Le trajet intellectuel commence par la mise en doute des données sensibles et des nécessités de la raison. Le résultat est la perte de la foi en les données sensibles.

La vue se trompe, ayant besoin d’une coréction extérieure: « La vue, pourtant le principal nos sens, fixant une ombre, la croit immobile et figée et conclut au non-mouvement. Au bout d’une heure d’observation expérimentale, elle découvre que cette ombre a bougé, non pas d’un coup, mais progressivement, peu à peu, de sorte qu’elle n’a jamais cessé de se déplacer. L’oeil regarde une étoile: il la voit réduite à la taille d’une pièce d’un dinâr, alors que les arguments mathématiques montrent que cet astre est plus grand que la terre. Voilà l’exemple de données sensibles au sujet duquel un organe des sens porte un jugement où la raison fait apparaître une erreur indéniable. »

La raison semble infaillible. « Mais peut-être y a-t-il, au delà de la raison, un autre jugement dont l’apparation convaincrait d’erreur la raison elle-même, tout comme celle-ci le fit pour les sens? Que cette intelligence ne se manifeste point, ne prouve pas qu’elle soit impossible... » Comment avoir de la confiance dans la raison, tant que l’on sait que pendant le sommeil on ne doute jamais de l’inconsistance des phantasmes de l’imagination. « Ne pourrait-on s’imaginer dans un état qui serait, à la veille, ce que celle-ci est au sommeil? La veille serait alors le rêve de cet état, et ce dernier montrerait bien que l’illusion de la connaissance rationnelle n’est que vaine imagination. »

Cet état de grâce est celui dont se réclament les sûfî.

Hadith: « Les hommes sont endormis, en mourant ils se réveillent. »

sophisme – safsata;

« Le mal empira et se prolongea pendant deux mois, durant lesquels je me trouvais en proie au “sophisme”. C’était là mon état d’âme réel, quoique rien n’en transparût dans mes paroles. Finalement, Allah me guérit et je recouvrai la santé et l’équilibre mental. »

La solution vient d’Allâh: « Je n’y suis pas arrivé par des raisonnements bien ordonnés, ou des discours méthodiquement agencés, mais au moyen d’une Lumière que Allah a projeté dans ma poitrine. Cette lumière-là est la clé de la plupart des connaissances. Celui qui croit que le “dévoilement du vrai” est le fruit d’arguments bien ordonnés, rétrécit l’immense miséricorde divine. »

Troisième partie. Les catégories des chercheurs

Il s’agit de quatre catégories:

1°) Les “Savant en foi” (mutakallimûn), qui prétendent au discernement et à la spéculation;

2°) Les “Intérioristes” (bâtiniyya), qui tiennent pour l’”Enseignement” (ta’lim) et (c’est leur caractéristique) pour la nécessité d’un Imâm infaillible;

3°) Les “Philosophes” (falâsifa), qui sont férus de logique et de preuve;

4°) Les “Mystiques” (sûfiyya), qui veulent avoir le privilège de La Présence, de la Vision et de la Révélation.

Abu Hamid a suivi les quatre voies, afin de trouver la Vérité.

Chapitre premier. La Science de la Foi Musulmane (kalâm). Son but et ses résultats

[Al-kalâm est l’équivalent de la scolastique chrétienne. D’ailleurs, la traduction française utilise le terme “scolastique”.]

C’est une science « qui convient à ses propres fins », mais pas aux fins du chercheur de la Vérité. Son but est de conserver la pureté de la croyance sunnite contre les hérésies.

Sur al-kalâm: « Pour moi, la scolastique n’était pas suffisante sur mon cas. Elle ne pouvait me guérir. Il est vrai qu’au bout d’une longue pratique, ses docteurs voulurent tenter de défendre la Tradition, en scrutant les réalités profondes des choses. Ils ont entrepris des recherches sur les substances, les accidents et leurs lois. Mais, comme le but de leur science était ailleurs, ce qu’ils en ont dit est resté en deçà de son terme. Et le résultat n’a pas dissipé les obscures hésitations des controverses humaines. »

Chapitre II. La Philosophie (Falsafa)

Sur l’engagement de sa démarche: « Je savais bien qu’il est impossible de savoir par où pèche une science quelconque, sans la pénétrer à fond, pour rivaliser avec ses meilleurs connaisseurs. Il faut même aller plus loin, dépasser ceux-ci et sonder les profondeurs et les périls que toute science dissimule. C’est seulement ainsi qu’on peut espérer en mettre au jour le point faible... »

Encore sur le sérieux de son entreprise: « J’ai appris que, réfuter un système avant de le comprendre et de le connaître à fond, serait le faire à l’aveuglette. Je me suis mis donc sérieusement à l’acquisition de cette science dans les livres, par la seule lecture, sans le secours d’un professeur. Je l’ai fait durant les moments de loisir que me laissaient le travail de composition et l’enseignement du droit canon: j’avais alors trois cents étudiants à Baghdad. »

Toutes les branches de la philosophies doivent être taxées d’hérésies.

A. Les catégories des philosophes

1. Les Matérialistes (dahriyyûn). Ils nient l’existence de l’Agent Moteur de l’univers. Ce sont des athées (zindîq).

2. Les Naturalistes (tabi’iyyûn). En étudiant la nature, ils ont été poussés à comprendre et à accepter qu’il y a un Createur. Mais, ils nient le Paradis et l’Enfer, la Résurection et le Jugement. Ce sont aussi des athées (zindîq).

3. Les Theistes (ilâhiyyûn), tels Socrate et Platon, ont combatu les matérialistes et les naturalistes. Il faut tenir pour hérétique les musulmans Avicenne (Ibn Sina) et Al-Fârâbî [Ici, Al-Ghazzâli n’est pas excessivement clair quant à l’argumentation].

B. Les branches de la philosophie

1. Les mathématiques. Ne présentent aucun rapport avec les questions religieuses. Elles présentent deux risques:

a) L’étudiant est frappé par la force convaincante de cette science. Il étend cette confiance à l’ensemble des disciplines philsophiques. Un jour le même étudiant entend que les mathématiciens sont des hérétiques, et il formule la question suivante: « Si la Révélation est vraie, comment se fait-il que les savants mathématiciens ne l’ont point reconnue? » suivie par le raisonnement: « La vérité consiste à nier la Révélation. »

b) Le deuxième risque provient du musulman ignorant. Celui-ci va jusqu’à nier des choses évidentes comme les éclipses de soleil et de lune, en prétendant qu’elles sont contraires à la Révélation. L’homme instruit tirera, à tort, la conclusion que l’Islam est contre les preuves apodictiques.

En réalité, les sciences ne s’opposent nullement à la religion.

2) La logique. Elle n’a rien en commun avec la foi. Le but de la logique est l’examination des méthodes, des arguments et des raisonnements par analogie. Elle ramène la connaissance soit au concept (définition), soit au jugement de véridicité (preuve).

Il ne faut pas condamner la logique, même les scolastiques s’en sont servis.

Le danger de la logique est le désir d’accumuler, quant aux questions religieuses, les conditions capables d’engendrer la certitude.

3. Les sciences naturelles. Elles traitent du monde céleste et de ses astres, ainsi que des corps simples au-dessous d’eux, tels que l’eau, l’air, la terre et le feu, et des corps composés (tels que les animaux, les végétaux et les minéraux.

Le principe des sciences naturelles est de reconnaître que la nature est au service du Tout-Puissant.

4. La Théodicée. Elle contient la plupart des erreurs des philosophes. Il s’agit de vingt erreurs, trois hérétiques et dix-sept inventions (bid’at). [Celles-ci ont été réfutées dans le traité L’incohérence des Philosophes.]

Les trois chefs de l’hérésie sont:

a) La prétention qu’au Jugement Derniers le corps humains ne seront pas rassemblés, et que seuls les âmes seront punies ou récompensées. Ils ont raison d’insister sur le spirituel, mais tort de nier le corporel.

b) Ils assurent que Allah connaît l’universel, mais point le particulier.

c) Ils affirment la préexistence de l’Univers et son éternité.

Ils nient les attributs divins.

5. La Politique. Science du gouvernement.

6. L’Ethique. C’est une doctrine que les philosophes ont emprunté aux mystiques (sûfi) pour mieux répandre leurs erreurs.

Sur les sûfi: « Il y avait, en effet, de leur temps (comme toujours), un de ces groupes d’hommes d’Allah dont Allah ne laisse jamais le monde privé. Ces hommes sont les piliers qui soutiennent la terre, et la miséricorde divine descend sur elle grâce à leur rayonnement spirituel, conformément à la parole de Muhammad: “C’est par eux que vous vient la pluie, et par eux votre subsistance. Les Dormants de la Caverne étaient de ces hommes-là [Eshab-ı Kehf]”. »

C. Les dangers de la philosophie

1. Danger de rejeter la philosophie.

Les esprits faibles ont cru devoir écarter les paroles des Prophètes et des Mystiques parce que les philosophes les avaient englobés dans leurs écrits. Comme les philosophes sont dans l’erreur, ces paroles seraient mensongeres.

« C’est là le tort des esprits faibles: ils ne reconnaissent la vérité que dans la bouche de certains hommes, au lieu de reconnaître les hommes lorsqu’ils disent la vérité. »

Ali ibn Abî Talîb a dit: « Ne reconnais pas la vérité dans la bouche de certains hommes, mais reconnaîs d’abord la vérité, et tu reconnaîtras ensuite les véridiques. »

Une réponse aux critiques de son œuvre: « D’autre part, certains de mes lecteurs ont critiqué quelques passages de mes livres, relatifs aux mystères de la religion. Ils n’ont pas suffisamment approfondi les sciences, et leur esprit n’a pu embrasser l’éventail complet des tendances. Ils ont cru que certains de mes propos étaient empruntés aux Anciens. En réalité, telles de mes expressions étaient le fruit de mes propres réflexions (et pourquoi la trace d’un cheval n’irait-elle pas recouvrir celle d’un autre?) et telles autres se trouvent dans les textes sacrés; beaucoup d’autres, enfin, sont aussi, en substance, dans les ouvrages des Mystiques. »

Il ne faut pas repousser les vérités déjà découvertes par les auteurs égarés: le récipient ne change pas le goût du miel.

Erreur commun: « La plupart des gens admettent un propos, même faux, s’il est tenu par quelqu’un qu’ils apprécient; tandis qu’ils n’en veulent pas, même vrai, dans la bouche de ceux qu’ils n’aiment point. C’est encore reconnaître la vérité selon la qualité de ceux qui parlent, au lieu de reconnaître ceux-ci selon qu’ils disent ou non la vérité. »

2. Danger d’admettre la Philosophie.

Il faut interdire la lecture des philosophes, parce que le risque est d’admettre leurs erreurs à cause de la part de vérité qu’ils renferment. L’interdiction est une mesure de précaution dans le genre de la prudence de tenir à l’écart de la mer ceux qui ne savent pas nager. Cette prudence ne concerne pas les nageurs expérimentés.

Chapitre III. La théorie de l’« enseignement » (ta’lim) et les maux qu’elle engendre

[Il s’agit de la théorie appelée ta’limisme, forme de l’ismaélisme shi’ite. Ghazâlî l’a nomme aussi bâtinisme. Les adeptes sont nommés ta’limiyya ou bâtiniyya.]

Les partisans de l’« Enseignement » (ta’lim) répandent les théories sur l’acquisition de la connaissance par l’intermédiaire de l’Imâm véridique infaillible. C’est vrai qu’il faut un maître, mais ce maître existe, il s’agit du Prophète Muhammad.

Abu Hamid al-Ghazâlî a étudié la doctrine des bâtiniyya, parce qu’on ne peut pas juger de ce dont on n’a pas été instruit.

Le Prophète a dit: “Je juge sur les apparances; c’est Allah qui a la charge des secrets”. Ce qui signifie: “Je juge d’après l’opinion générale, recueillie auprès de témoins faillibles”.

« [...] le miracle ne prouve l’authenticité, qu’à condition de connaîter aussi la magie et de bien distinguer entre elle et le miracle. »

Jugement définitif dans cette question: « Je veux me borner à faire ressortir que ces hommes n’offrent aucun remède aux ténèbres des diverses opinions. Malgré leur impuissance à prouver la désignation de l’Imâm, nous avons été longtemps d’accord avec eux. Nous avons partagé leur conviction de la nécessité d’un “Enseignement” et d’un maître infaillible, qui serait le leur. Mais, à nos questions sur l’enseignement de ce maître, aux problèmes que nous leur avons posés, ils n’ont rien compris et n’ont su que répondre. Ils nous ont alors renvoyés à l’Imâm caché, en disant: “il faut absolument aller le voir”. Ils ont l’étrange prétention d’avoir trouvé le maître qu’ils ont cherché: mais ils n’ont rien appris de lui. Ils sont comme quelqu’un de malpropre qui s’épuiserait à trouver de l’eau, mais ne se laverait pas et resterait sale. »

Chapitre IV. La voie mystique (sûffiya)

Définition de la Voie mystique: « Elle consiste à reconnaître science et action pour également nécessaires. Elle vise à lever les obstacles personnels (nafs, désirs sensuels) et à purifier le caractère de ses défauts. Le coeur finit ainsi par être débarrassé de tout ce qui n’est pas Allah (tout ce qui est autre qu’Allah), pour se parer du seul nom d’Allah. »

Les noms cités: Abû Tâlib Al-Makkî, Al-Hârit al-Muhâsibî, Al-Junayd, Al-Shiblî, Abû Zayd al-Bistâmî.

Ce qui leur est spécifiquement propre ne peut s’atteindre que par les « goûts », les états d’âme et la mutation des attributs. La différence entre le musulman habituel et le soufi est comme la différence entre celui qui connaît les traits de la santé et celui qui est bien portant (ou celui qui a une connaissance théorique de l’art culinaire et celui qui est rassasié). « L’ivrogne ne connaît pas la définition et la science de l’ivresse: il ne s’en doute même pas. Et celui qui est sobre les connaît bien, quoiqu’il soit à jeûn. De même, un médecin malade connaît bien la définition de la santé, ses causes et les remèdes qui la rétablissent: il est pourtant malade. Eh bien, connaître la réalité de la vie ascétique, avec ses conditions et ses causes, est une chose; mais c’en est une tout autre que d’être effectivement dans l’état d’âme de l’ascétisme et due détachement des biens de ce monde. »

Témoignage personnel: « Grâce à mes recherches dans le domaine des sciences, tant religieuses que rationnelles, j’en étais arrivé à une foi inébranlable en Allah, à la Révélation et au Jugement Dernier. Ces trois principes religieux s’étaient fortement gravés dans mon coeur, non comme effet d’arguments choisis et rédigés, mais à la suite de motifs, de circonstances et d’expériences qu’il ne m’est pas possible d’énumérer. »

L’examen de conscience pousse Al-Ghazzâli à suivre la Voie. En dépit de sa foi en Allah, il se rend compte qu’il est « au bord branlant d’un précipice ». Il décide maintes fois de quitter Baghdad à la recherche d’un cheikh, mais il y reste quand même par indécision et manque de force. Un jour, « Allah lui noue la langue », étrange maladie à point de départ strictement spirituel. Il décide de se remettre à Allah, en renonçant à la famille, aux honneurs, à l’argent et aux amis. Il quitte Baghdad en feignant la décision d’accomplir le Hajj.

Arrivée à Damas. Vie en solitude, enfermé « en haut du minaret », après s’être enfermé dedans. Suit Jérusalem et la Mosquée du Rocher. Après: Mekke et Médine. Retour à Baghdad.

Jugement sur les sufiyya: « Il me suffira de déclarer que les Mystiques (şûfi) suivent, tout particulièrement, la Voie d’Allah. Leur conduite est parfaite, leur Voie droite, leur caractère vertueux. Que l’on additionne donc la raison des raisonnables, la sagesse des sages, la science des Docteurs de la Loi sharî’at)! Peut-on compter ainsi améliorer leur conduite, ou leur caractère? Sûrement point! »

Les Mystiques (sufî) arrivent à la Proximité. Il est impossible de parler des états vécus par ceux-ci. Les états d’extase sont indéscriptibles.

La Science, c’est la vérification par la preuve.

La Gustation, c’est l’intime connaissance de l’extase.

La Foi, c’est l’acceptation des témoignages oraux et de ceux de l’expérience.

Quatrième partie. La réalité de la Prophétie

La substance de l’homme a été créée simple et vide.

L’homme entre en rapport avec le monde par sa perception. Le premier sens est le toucher. Et puis c’est l’ouïe. Ensuite vient le goût. Le discernement (acquis vers sept ans) ouvre la voie vers l’intellect. Au-delà de l’intellect se trouve « une troisième œil » qui permet de voir « ce qui est caché, ce qui arrivera dans l’avenir, et bien d’autres choses encore, aussi étrangères à l’intellect que le sont les connaissances rationnelles au discernement, et celui-ci à la perception des sens ».

Celui qui ne connaît pas le niveau supra-rationnel, le nie purement et simplement. De même, l’aveugle qui n’a jamais vu les couleurs ne peut pas les concevoir.

Les propriétés prophétiques sont semblables aux rêves prémonitoires. Un homme qui n’aurait aucune expérience personnelle du sommeil pourrait dire: « les facultés sensibles sont les facteurs de la perception; comment celui qui ne perçoit pas certaines choses à l’état de veille, les precevrait-il quand il dort? »

L’intellect n’est qu’une étape: le troisième œuil (l’intuition) est un état bien supérieur. La Prophétie perçoit des choses qui échappent à l’intellect.

Hadith: « Celui qui agit selon ce qu’il sait, Allah lui donne en partage de connaître ce qu’il ne savait pas! »

Hadith: « Celui qui n’a qu’un souci en tête, Allah le tiendra quitte des soucis de ce monde et de l’autre. »

La Prophétie est meilleure que les prodiges, qui peuvent renvoyer à la magie, à l’illusion et même au piège tendu par Allah. La croyance en miracles ne peut pas être confodue avec la foie en Allah, mais les miracles peuvent renforcer la foi.

Cinquième partie. Raison de mon retour à l’enseignement

A. Les médecins des cœurs

L’homme a un corps et un « cœur », c’est-à-dire un esprit qui est le siège de la connaissance d’Allah. Le cœur fait la différence entre l’homme et l’animal ou le cadavre. Le corps peut être en bonne santé ou malade – les cœurs aussi. Ignorer Allah ou Lui désobéir sont les causes des maladies du cœur.

Les pratiques religieuses sont définies, mésurées par les Prophétes. Leurs modalités d’action ne peuvent pas être perçues par l’intellect. « Il faudrait beaucoup de sottise et d’ignorance pour chercher, à ces distinctions, un motif “raisonnable”, ou les expliquer par simple coïncidence. »

Les Prophètes sont des médecins des « cœurs ».

B. La tièdeur de la foi

Les hommes ont peu de foi dans la Prophétie. Les responsables de cet état de choses sont en nombre de quatre:

a) les Philosophes;

b) les Mystiques (sûfi);

c) les partisans de l’Enseignement (secte shi’a);

d) les hommes de science.

Vives critiques dirigées contre ceux qui vivent un Islam à moitié de mesure (en évitant certains aspects).

C. Mon retour à l’enseignement

« Alors, ma décision jaillit, comme un silex, nette et précise: “à quoi bon la solitude et la retraite, quand le mal est universel, que les médecins sont malades, et les hommes sur le point de périr”? »

La mission officielle d’Al-Ghazzâlî à Nishâpûr, après onze ans de retraite. Il témoigne n’avoir jamais « revenu » à son enseignement, parce que « revenir » signifie retourner à un état antérieur. Or, il enseignait avant de devenir sûfî pour obtenir des honneurs, tandis qu’après précisément comment renoncer aux honneurs.

Doutes sur le succès de sa mission, et prière: « Pourtant, je crois, d’une croyance certaine, fondée sur la “Vision”, qu’il n’y a de force et de puissance qu’en Allah. Je n’ai pas remué, c’est Lui qui m’a déplacé. Je n’ai pas agi, c’est Lui qui s’est servi de moi. Je Lui demande donc, d’abord, de me rendre meilleur et puis, d’améliorer les autres par mon exemple; de me guider, puis de guider les autres à travers moi; de me montrer la Vérité vraie, et de me donner de la suivre; de me montrer enfin l’erreur complète, et de m’accorder de lui échapper. »

D. Remède pour les tièdes

1) Pour ceux embarrassés par les partisans de l’Enseignement: le traité La Juste Balance (Qistas-ul-Mustaqîm);

2) Pour les confusions inventées par les Libertins: le traité Alchimie du Bonheur (Kimya-yi Se’âdet);

3) Pour ceux dont la Philosophie a gâché la foi, il y a l’argument des remèdes de la religion, qui échappent à la raison ordinaire;

« La foi en la Prophétie, c’est la certitude de l’existence d’une zone supra-rationnelle, où s’ouvre un “oeil” doué d’une perception particulière. L’intellect en est exclu, comme le sont: l’ouïe, de la perception des couleurs, la vue, de celle des sons, et tous les sens, de celle des données rationnelles. »

La Philosophie, les Sciences Naturelles et la Théodicée se représentent les choses en les mettant à la portée de leurs entendement. Ce qu’ils ne connaissent pas, ils les déclarent impossibles.

4) La quatrième cause de tiédeure religieuse est le spectacle de la conduite des savants. Ici il y a trois arguments possibles:

a) Le savant pêche par concupiscence, tout comme celui qui mange quelque chose d’interdit par son médecin le fait par envie et non pas pour dénigrer la médecine;

b) Le savant ne vit pas selon sa science, mais la considère comme un viatique;

c) Le vrai savant ne pêche que par inadvertence, mais ne persévère point dans l’erreur.

« La vraie science n’a rien à voir avec les autres sciences dont s’occupent la plupart des hommes, et qui ne les poussent qu’à pécher davantage. Elle inspire un surcroît de révérence et de crainte, et elle retient de commettre des péchés (autres que les fautes vénielles, intermittentes, inévitables). Celles-ci ne prouvent point la faiblesse de la foi, car le Croyant succombe et se repent, ce qui est tout autre chose que de persévérer dans l’erreur. »

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