30 octobre 2005

Jean-Claude Frère, Une vie en esprit, (note de lectura)

Paru dans Planète, no 15, avril 1970.
Moto: “L’homme ignorait son génie. Le génie semblait ignorer l’homme.”
Commencement: « Il est des esprits qui bouleversent le cours de leur temps et secouent la succession des idées sans que pour autant ils deviennent les étincelantes vedettes des engouements fugitifs. René Guénon est de ceux-là. Humble et effacé, ayant mené une vie silencieuse, il semble passer lentement d’un clair-obscur à la nuit complète sans s’occuper beaucoup des figures de son époque et des recettes qui assurent la célébrité. » (p. 7)
Guénon n’a pas été ni philosophe, ni orientaliste. A vrai dire, il n’a pas été l’homme d’une spécialité. Il s’est intéressé à l’homme et à l’univers.
Son style est celui des rois et des mages (avec le « nous » de la majesté).
Il ne propose pas, ne suggère pas. Il affirme. Pas de dogmatisme, mais l’assurance de celui qui revient d’un voyage étonnant.
Son œuvre efface la figure de son créateur.
« Le monde est ébranlé par les plus violente secousses que la civilisation ait eu à subir: pourtant l’œuvre guénonienne se continue impavidement: Il est là, sans colère, étranger à jamais aux caprices de l’actualité. » (p. 8)
Il a 31 ans quand la Sainte Russie, devenant la République des Soviets, met fin au monde des certitudes et intronise le temps de l’angoisse. Il a 59 ans quand la connaissance à rebours inonde le ciel de deux villes du Japon et que le néant nucléaire boucle la boucle des mythes et suscite le vertige et l’attente de la réintégration en Dieu.
Dès son premier livre, L’Introduction générale aux doctrines hindoues, sa formation est structurée comme elle le demeurera jusqu’à sa mort.
« René Descartes et René Guénon sont issus du même terroir; le premier naquit en Touraine et le second en terre blésoise. Il n’y a là de hasard qu’en apparence; en réalité les deux formes d’intelligence sont proches et appartiennent à la même discipline intérieure, à la même horreur des formules vagues et des dissertations éperdues. La lumière austère de la Loire nous ofre des écrivains épris d’absolu, pas un absolu facile, et surtout de dépouillement. La mystique n’est nullement dans le tumulte et les formules rodomontantes; elle réside dans l’absence de tout attrait extérieur à l’objet même de la quête, qui, lui-même, s’évanouit dans la conscience ultime de l’être qui pénètre tout l’univers. Ni St. Jean-de-la-Croix, ni René Guénon ne nous contrediraient. » (p. 8)

Des formes extérieures à la révélation intérieure
Né le 15 novembre 1885 à Blois. Son acte de baptême porte les noms de Guénon René-Jean-Marie-Joseph. Son acte de décès établit le 8 janvier 1951 (lendemain de sa mort) et porte les nos de Abdel Wahed Yahia.
Aveu: « En fin de compte cette brève étude n’aura d’autre but que de cerner ces questions [Quels furent les événements et les découvertent qui conduisirent Guénon sur des sentiers tellement éloignés de nos routines? – n.n.] en les explicitant par le biais de la vie. » (p. 8)

A la recherche d’un savoir authentique
L’enfance d’un enfant solitaire. Santé précaire.
« Un choc, une rencontre, la lecture d’un livre ou une réaction impromptue risquent d’orienter toute l’existence d’un jeune timide, méditatif et doué. Pour René Guénon nous ne savons vraiment pas ce qui se passa. » (p. 9)
Admis à Collège Rodin pour y préparer une licence de mathématiques.
Excellent élève à Blois, il ne désira plus, une fois dans la capitale, faire carrière.
Il habite un appartement du 51 de la rue Saint-Louis-en-l’Ile.
Le séjour chez les papusiens a été sa première véritable expérience néo-spiritualiste. Cela l’a mis en garde contre les périls charriés par toutes les sectes.
En 1906 il se fait admettre comme élève de l’Ecole supérieure libre des sciences hermétiques dont Papus est le maître. Il gravit les échelons de la hiérarchie martiniste et devient « Supérieur Inconnu ». Successeur en titre – chez les Martinistes – de Saint-Yves-d’Alveydre.
Guénon entreprit de se faire initier par des franc-maçons d’obédiences irrégulières: ceux de Loge Humanidad et ceux du Rite primitif et originel swedenborgien. Auprès de ces derniers il reçut de Théodore Reuss, Grand-Maître du Grand-Orient et souverain sanctuaire de l’Empire d’Allemagne, le cordon de Kadosh.
Il rencontra Fabre des Essarts, connu sous le nom de Synésius, le patriarche de l’Eglise Gnostique, auquel il demanda à être admis au nombre des ses adeptes.

Des expériences décevantes mais nécessaires
Vers 1909 les martinistes et les maçons irréguliers l’exclurent. « Il n’en avait pas moins vu ce qu’il voulait voir: la caricature occidentale des antiques initiations. Par là mâme occasion il constatait que grande était encore la nostalgie des ordres chevaleresques et des cérémonies mystiques parmi tous ces petits bourgeois qui se jouaient la grande comédie à force de titres mirobolants et de fausses décorations maçonniques. » (p. 10)
Après on lui chercha injustement grief pour ses engouements du début. Sa réponsa fut haute et sans appel: « Si nous avons dû, à une certaine époque, pénétrer dans tels ou tels milieu, c’est pour dais raisons qui ne regardent que nous. » (in. « Voile d’Isis », mai 1932).
En 1909, Synésius (Fabre des Essarts) lui facilitera la création d’une revue, « la Gnose » qui tint jusqu’au février 1912. Guénon la dirigea sous le nom de Palingenius.

L’apprentissage de l’expérience créatrice
Léon Champrenaud, directeur de la revue la « Voie », marque Guénon par sa conversion à l’Islam sous le nom de Abdul Haqq.
Albert de Pouvourville, qui avait adhéré à la tradition taoïste sous le nom de Matgioi, expose à Guénon ses vues métaphysiques pertinentes.
Il utilise le « Traité de la Connaissance » de Shankarâshârya, ouvrage qui restera une de ses références favorites.
A vingt-cinq ans le point de vue guénonien était fixé, et il était prêt à élaborer son œuvre.
Il entre dans la maçonnerie officielle, à la Grande Loge de France, section Thébah du rite écossais ancien et accepté.
Son activité maçonnique, surtout représentée par quelques conférences) se limita à peu près à Thébah où il se rendit régulièrement jusqu’à la guerre de 1914-1918.

Un militant de l’éveil métaphysique
Après la guerre il n’assista plus à aucune tenue de Loge.
« La franc-maçonnerie, il en était convaincu, est l’ultime survivance initiatique occidentale, la seule qui avec l’Eglise catholique peut encore sauver notre civilisation de l’aveuglement matérialiste. Néanmoins la dégénérescence maçonnique est telle que les actuels dépositaires ne pressentent même plus toute la force et la continuité des rites sacrés dont ils sont les dépositaires inconscients. » (p. 12)
L’Eglise catholique et la franc-maçonnerie devraient colaborer pour préserver et vivifier les trésors initiatiques et les enseignements divins, mais malheureusement l’horreur du secret, de l’ésotérisme, fait que l’Occident se meurt dans un monde entièrement profane.
Il publie ses opinions concernant la relation catholicisme-francmaçonnerie dans une revue antimaçonnique (!) dirigée par Clarin de la Rive, « La France Antimaçonnique », sous le pseudonyme « le Sphinx ». Sa pensée et ses réflexions maçonniques devaient marquer les francs-maçons.
Il est remarquable de constater que, malgré sa collaboration à « la France Antimaçonnique », il ne fut jamais exclu de la maçonnerie officielle. Les développements guénoniens ont rejoint les vues initiatiques d’un autre illustre franc-maçon, Oswald Wirth.
L’initiation musulmane remonte à 1912, ainsi qu’en témoigne la dédicace du « Symbolisme de la Croix ». Il reçut le nom musulman d’Abdel Wahed Yahia, nom qui le rattache à la tradition souffi d’Egypte.
« Aussitôt on peut se demander, avec bien des chrétiens qui se sentent proches de l’œuvre guénonienne, pourquoi ce Blésois choisit soudain d’abandonner les cultes ancestraux de son pays pour entrer dans une religion attachée à une affectivité toute différente. La réponse reste difficile, quoiqu’il semble évident que le christianisme ne répondait pas réellement à ce que Guénon attendait comme réalisation initiatique. » (p. 13-14)
La religion du prophète dans sa formulation ésotérique satisfaisait l’horreur que Guénon avait pour l’affectif, le sensible.

Initiation à la vérité de l’Islam
Une étrange figure apparaît en la personne d’Abdul-Hâdi, un des collaborateurs de la « Gnose », suédois d’origine, qui s’appellait John-Gustaf Agelii dans le monde profane. Celui-ci était moqqadam de la Tariquah Shadhilite.
« L’étonnement « exotérique » devant la conversion de René Guénon est un étonnement de surface qui n’entend rien aux sollicitations puissantes d’une âme éprise d’unicité en Dieu et non de dissolution dans le multiple. » (p. 15)

Un mariage paradoxal? Plutôt dépassant le paradoxe
Toujours en 1912 a lieu le mariage religieux de Guénon avec une jeune fille nommé Berthe Loury. L’acceptation de la cérémonie religieuse catholique dénote une puissante indifférence pour tous les aspects extérieurs des cultes.
Noële Maurice-Denis Boulet, qui connut le couple Guénon à cette époque, affirme que jamais Berthe Loury ne sut que son mari appartenait à la religion du Prophète (dans Pensée Catholique, no 77, 1962).

Le professeur et ses marottes orientales
La guerre force Guénon à travailler comme professeur de philosophie pour entretenir sa femme et sa nièce. Selon Jean Monet, Guénon n’est pas un pédagogue. Bref, il n’était pas plus fait pour l’enseignement que pour un autre métier profane.

Le premier ouvrage, base de l’ensemble
Le premier livre est une somme: « Introduction générale aux doctrines hindoues ». C’est la charpente et comme la structure du Grand-Œuvre guénonien.
« On s’est souvent interrogé quant aux sources indiennes de Guénon. La conclusion est qu’il reçut non seulement un enseignement écrit, celui que tout érudit pouvait trouver, mais surtout un enseignement oral délivré par des Hindous venus en Occident dans le seul but de découvrir des personnes susceptibles d’entendre le message authentique et secret de la spiritualité orientale. » (p. 19)

Introduction à la critique de l’Age sombre
Hormis St Yves d’Alveydre qui s’approche quelquefois de la tradition véritable, celle qu’il avait reçue d’un ami agfhan, il n’y eut en Occident que Guénon pour s’apercevoir rapidement de toute la richesse des doctrines orientales.
Certaines suppositions ont été faites sur une brouille entre Guénon et ses sources orientales après la publication du Roi du Monde (1927).

Lutte contre l’influence des pseudo-spiritualistes
La publication du livre Théosophisme, histoire d’une pseudo-religion – c’est une histoire qu’il connaissait bien, pour avoir fréquenté ces milieux.
La continuation a été faite par L’Erreur spirite en 1923. Il paraît qu’il projetait aussi une Erreur occultiste, mais il y renonça par égard pour Papus et ses premières expériences spirituelles.
Dans ces premiers livres, Guénon s’attache à démontrer combien sont nombreuses dans cet Occident en déroute les pseudo-initiations. Celles-ci ne sont qu’autant de contrefaçons destinées à illusionner des êtres faibles, sans formation, avides seulement de sensations vulgaires.
« Ainsi, l’« Erreur spirite », comme « le Théosophisme », malgré leur caractère polémique, sont des œuvres très documentées, qui s’inscrivent déjà dans le courant de sa réflexion postérieure. Celle-là qui l’amènera à discerner les stigmages de mort qui inondent le monde; ce monde dont la conscience spirituelle et symbolique s’est rapidement atrophiée depuis cette époque que l’on eut l’inconsistance d’appeler… « la Renaissance » ! » (p. 21-22)
En 1924 a lieu une table ronde sous la direction de Frédéric Lefèvre, rédacteur en chef des « Nouvelles Littéraires », avec Rene Grousset, Jacques Maritain, Ferdinand Ossendowski (auteur de « Bêtes, hommes et dieux ») et René Guénon. Ossendowski y donne sonne avis sur la légende du « Maître du Monde », Jacques Maritain parle du dépôt hellénique, latin et catholique. « Cette conférence en resta là. Chacun demeurait convaincu dans son opinion. Nul ne voulait réellement concéder à l’autre que des victoires de courtoisie. Vanité du dialogue intellectuel quand il se fait public? Certes, mais aussi incompréhension réciproque. Tous ces gens poursuivaient une « formulation » de la vérité. Chacun était épris de mystique et de réalisation spirituelle. Chacun pourtant l’entendait à sa manière et ne tenait pas à entendre la manière de l’autre […]. » (p. 22)
Cette table ronde fut relatée dans « les Nouvelles Littéraires » du 25 mai 1924.

La nécessité du rapprochement avec l’Orient
Dans l’Action Française du 15 juillet 1924, Léon Daudet écrivait: « L’Occident est placé, depuis les Encyclopédistes, et au delà, depuis la Réforme, dans un état d’anarchie intellectuelle qui est une véritable barbarie… Par des voies différentes, j’étais arrivé à une conclusion analogue dans l’examen du stupide XIXe siècle: mais mon ignorance de la philosophie orientale – que possède tout à fait M. René Guénon – ne m’avait pas permis de dresser le redoutable parallèle qu’il nous expose. Il ressort, sans qu’il l’exprime de façon positive, que l’Occident est menacé, plus du dedans, je veux dire par sa débilité mentale, que du dehors, où cependant sa situation n’est pas si sûre… » (apud p. 22) Ces lignes saluent l’ouvrage « Orient et Occident ».

Une pénétration accrue de la métaphysique orientale
L’amitié avec l’écrivain Gonzague Truc, directeur littéraire des Editions Brossard. Il aide Guénon à publier « L’Homme et son devenir selon la Vêdânta ». Cette pénétration profonde des doctrines de Shankarâchârya et de Ramanudja fut une des grandes étapes de l’explicitation des doctrines hindoues en Occident.
Le 17 décembre 1925, Guénon donne sa seule véritable conférence dans un amphithéâtre de la Sorbonne. Ce fut « la Métaphysique orientale ». L’exposé fut court et tranchant. L’Occident risque de périr par son abus matériel s’il ne se réveille promptement.

Oppositions entre les évolutions possibles
Ce qui a été dans « la Crise du Monde Moderne » pris pour des outrances en 1927 a été, depuis, tristement dépassé.
« On a assez parlé de cet ouvrage capital, qui, en son temps, heurta tant de sensibilités qui ne pouvaient comprendre toute la hauteur métaphysique des perceptions que Guénon venait de puiser dans l’intimité de l’Orient en général et de l’« Advaïta » (non-dualité) védantique en particulier. » (p. 24)
La crise du monde moderne a été dépassé. On vit maintenant l’agonie.

Mais à quel niveau se manifeste la connaissance?
Guénon s’est délibérément placé sur un plan supérieur, celui qui regarde les époques historiques comme des choses inéluctables, dont le déroulement a été établi bien longtemps d’avance.
Le monde attend, sans vouloir le reconnaître, le grand silence qui rétablira, par-delà le Kâli-Yuga enfin exprimé jusqu’au bout, la subordination de l’homme et l’harmonie entre les créatures douées de forces spirituelles et le grand Souffle créateur.

Le roi du monde: mythe ou réalité?
« La Crise du Monde moderne » a suscité les ironnies de Maurras et la sympathie de Léon Daudet et de Jacques Bainville.
Parution de « L’Esotérisme de Dante ».
Parution de l’ouvrage « Le Roi du Monde », son livre le plus déroutant.
« D’aucuns ont vu dans ce livre une « rupture » de la loi du silence que Guénon aurait promis de respecter vis-à-vis de ses informateurs orientaux. Ce qui reste une thèse dénuée de fondement. Il n’est que trop évident, qu’il ne profanait rien. Au contraire, il faisait, une fois de plus, un considérable travail de nettoiement. » (p. 27)
Le 15 janvier 1928 sa femme se meurt, après 16 ans de mariage. Neuf mois plus tard, sa tante Duru, qui habitait chez lui depuis de nombreuses années, se meurt aussi.

Autorité spirituelle contre pouvoir temporel
A la fin de l’année 1928, Chacornac décida de donner au « Voile d’Isis » une tournure nettement guénonienne. René Guénon accepte de collaborer régulièrement en tant que simple redacteur.
A la suite du différent qui opposa le Saint-Siège à l’Action Française, Guénon écrit « Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel ».
La parution de la courte brochure « St. Bernard » en 1929.
Départ en Egypte avec Mmd Dina, une américaine née Marie W. Shillito. Guénon ne devait plus revoir la France.

La tradition vécue en Egypte
Guénon habite non loin de l’université d’El-Azhar. Musulman depuis 1912, il trouve enfin une terre de prédilection pour approfondir les données initiatiques de la religion islamique.
Il rédige deux ouvragues qu’il travaillait depuis longtemps: « le Symbolisme de la Croix » et « les Etats multiples de l’être ». Ils s’écartent de la doctrine hindoue afin d’en arriver à une quintessence de la réalité ésotérique des religions.
« L’élévation métaphysique de Guénon éclate aux yeux de tous par la netteté tranchante de ces deux dernières publications. Rien n’est laissé à la polémique. Le monde problématique des « Etats multiples », il le vit et la Croix n’est plus un symbole religieux ou astronomique, elle est le lien entre la conscience de l’homme et l’Intelligence universelle. Ceux qui avaient pu guetter son œuvre afin d’y découvrir quelque faille, étaient décidément pris à leur propre jeu. Guénon échappait totalement à la critique facile du dilettante. Dès lors, il semble que son autorité commença un cheminement de plus en plus intense à l’intérieur même des intelligences qui, il y a peu, ne voyaient guère en lui qu’un « orientaliste ». Il avait dû s’établir en terre d’Islâm pour que ses perceptions apparaissent enfin pour ce qu’elles étaient. A savoir, des vues métaphysiques à la fois intemporelles et libres vis-à-vis de toute doctrine exotérique. » (p. 30)
A la même époque Guénon collabore directement en langue arabe à une revue islamique, « El-Marifah » (la Connaissance). Cela prouve sa parfaite maîtrise de la langue dès cette époque.

1945: les signes du règne de la quantité
En 1934, Guénon épouse en juillet une égyptienne, Fatma la fille du Sheikh Mohammad Ibrahim. Une année plus tard il vend son appartement de la rue Saint-Louis-en-l’Ile.
La mort de son beau-père, en 1937, le décide de quitter le centre du Caire pour le faubourg plus silencieux de Doki. Malgré sa retraite il continue la collaboration avec « les Etudes traditionnelles », qui recevaient régulièrement ses textes et ses analyses de livres.
En 1945 Jean Paulhan crée chez Gallimard la collection « Tradition », qui sera ouverte par Guénon avec « le Règne de la Quantité et les Signes des Temps ».

Réaliser l’œuvre dans la vie
En 1945, Guénon propose la réunion, sous forme d’un volume, des articles qu’il a écrit sur l’Initiation. Ainsi naît un des fondements doctrinaux de son œuvre, « Aperçus sur l’Initiation ».
En 1946 c’est la parution de « la Grande Triade », ouvrage où la tradition chinoise sera plus particulièrement mise en valeur.
« A cette époque René Guénon vit pleinement son œuvre: il se réalise. La déchéance de la civilisation qui l’a vu naître le préoccupe, certes, mais le préoccupe seulement à titre de preuve pour les grandes visions cycliques de l’univers qu’il porte en lui depuis près de quarante ans. » (p. 33)

Le corps à même le sable, un autre rivage
« Sa vie est simple. En 1947, alors qu’il a quitté la Villa Fatma pour se réinstaller au centre du Caire, près du Palais Royal, il a deux filles qu’il aime et qu’il chérit tendrement. Pourtant la délicatesse de son intimité ne nous parvient jamais à travers ses livres. Il reste loin du message qu’il charrie; il est discret, lointain et silencieux. Sa vie n’aura été qu’un souffle doux et sans heurt. Il espère encore avoir un fils, et il en aura bientôt un. En septembre 1949, Ahmed, son troisième enfant vient illuminer la face énigmatique de ce prophète qui refuse d’en être un. » (p. 33)
Sa santé s’affaiblit.
Il sollicite et reçoit la nationalité égyptienne.
Au milieu de décembre 1950, il est obligé de s’aliter. Il se plaint d’ulcérations à la jambe gauche. On craint un empoisonnement.
Brusquement, le 7 janvier 1951, il est pris de spasmes violents et ne peut plus s’alimenter. Au soir il entre en agonie, ses dernières recommandations concernent son cabinet de travail: il désira qu’il soit maintenu avec ses meubles, tel quel, car, invisible il y sera quand même.
A 22 heureus, il se dresse sur sa couche, et crie « el Nafass Khalass » (l’Ame quitte le corps). Et c’est à 23 heures qu’il s’éteindra en murmurant « Allah, Allah ». Les funérailles musulmanes eurent lieu le lendemain, lundi 8 janvier 1951. Le corps du Sheikh Abdel Wahêd Yahia repose désormais dans le caveau de son beau-père, Mohammad Ibrahim. Il y fut déposé à même le sable, le corps voilé et la face tournée vers la Mecque.

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